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Comme des mines antipersonnels

Dev-Hum-Couverture1Dans son entreprise, Murielle est chef d’équipe. Elle exerce un management coopératif et les relations avec l’équipe se passent bien.

 Murielle a des chefs qui sont eux aussi coopératifs, prévenants avec elle et facilement accessibles. Mais dès qu’elle se présente devant tel ou tel de ces chefs, Murielle perd ses moyens et se sent écrasée.

 Murielle raconte cela en formation, ajoutant qu’elle ne comprend pas son attitude. Elle ajoute : « Je suis vraiment ridicule de réagir comme cela avec des chefs sympas ! »

 Je stoppe donc Murielle dans son jugement sur elle-même et je lui propose de chercher plutôt à comprendre : « Il y a des raisons pour lesquelles vous réagissez ainsi. Vous seule pouvez les trouver. » Rivée sur sa réaction devant ses chefs, Murielle ne trouve pas. Je l’invite alors à se demander si elle réagit de la même manière dans d’autres situations. « Oui, répond-elle, chaque fois que je me trouve devant quelqu’un de supérieur à moi. C’est comme si j’avais envie de disparaître sous terre. »

 Un autre participant intervient pour l’encourager : « Mais non, Murielle, tu n’as pas à t’écraser comme ça devant l’autorité. » Je stoppe cette personne malgré sa gentillesse car Murielle ne pourra pas faire autrement tant qu’elle n’aura pas trouvé d’où vient sa manière de réagir.

 Murielle cherche, silencieuse, puis son visage blêmit et se tend, des larmes coulent : « C’est ma maîtresse, à l’école maternelle : j’étais la seule élève du monde rural. Quand j’ai ouvert la bouche, la maîtresse a dit : de toutes façons tu ne peux dire que des bêtises, toi, la fille de paysan ». Silence, larmes, émotion… ouvrant une prise de conscience.

 C’était ça la mine antipersonnel, enfouie depuis plus de 40 ans : elle venait affleurer et exploser à chaque pas de Murielle vers une autorité. Il a fallu qu’elle prenne le temps et les moyens de s’écouter elle-même, grâce à la formation, pour prendre conscience de la bombe d’origine qui lui explosait au visage chaque fois que la situation se reproduisait.

 Murielle est revenue un mois plus tard terminer la formation. Elle nous a dit qu’elle avait été très fatiguée après cette prise de conscience, mais qu’elle avait dépassé la haine vis-à-vis de cette maîtresse. Et surtout, devant ses chefs d’aujourd’hui, elle se sentait déjà plus à l’aise, libérée.

 Et vous, quelles sont vos mines anti-personnel ?

Marc THOMAS, Consultant – Formateur en « Compétences relationnelles »
octobre 2011

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Accueillir et canaliser les émotions

Cet interview a été réalisé à l’initiative de « Église à la Réunion » en mars 2011, à l’occasion de trois formations  intitulées « Canaliser les émotions et s’en servir pour agir »

L’approche centrée sur la personne

Ce que Carl ROGERS écrit ci-dessous en 1962 à propos de l’entretien dans la relation d’aide avec un thérapeute peut aussi s’appliquer à toute relation humaine…

« Qu’est-ce que j’entends par Approche Centrée sur la Personne ? C’est l’expression du thème de toute ma vie professionnelle qui s’est clarifié au cours de mon expérience, de mes interactions avec les autres au fil de ma recherche. Je souris en pensant aux diverses étiquettes que je lui ai données au long de ma carrière : counseling[1] non-directif, thérapie centrée sur le client, enseignement centré sur l’élève, leadership centré sur le groupe. Les champs d’application s’étant multipliés et diversifiés, l’étiquette d’Approche Centrée sur la Personne me semble celle qui la décrit le mieux.

L’hypothèse centrale de cette approche peut être brièvement résumée :

L’individu possède en lui-même des ressources considérables pour se comprendre, se percevoir différemment, changer ses attitudes fondamentales et son comportement vis-à-vis de lui-même. Mais seul un climat bien définissable, fait d’attitudes psychologiques facilitatrices, peut lui permettre d’accéder à ses ressources.

Il y a trois conditions requises pour qu’un climat soit favorable à la croissance de l’individu, qu’il s’agisse d’une relation client-thérapeute, parent-enfant, leader-groupe, enseignant-enseigné, administrateur-administré. Ces conditions sont, en fait, applicables partout où le développement de la personne est en jeu. J’ai décrit ces conditions dans des ouvrages précédents. Je n’en présente ici qu’un bref résumé mais la description s’applique à toutes les relations mentionnées ci-dessus.

A la première on peut donner le nom d’authenticité, de réel ou de congruence. Plus le thérapeute est lui-même dans la relation, sans masque professionnel ni façade personnelle, plus il est probable que le client changera et grandira de manière constructive. Cela signifie que le thérapeute « est » ouvertement les sentiments et les attitudes qui circulent en lui au moment présent. C’est le terme transparent qui fait le mieux saisir la saveur de cette condition : le thérapeute se fait transparent pour le client.

Le client peut complètement voir ce qu’est le thérapeute dans la relation ; il n’y a en lui aucune réserve que le client puisse ressentir. Par ailleurs le thérapeute prend conscience de l’expérience intérieure qu’il est en train de faire. Il peut la vivre dans la relation et la communiquer s’il le juge opportun. Il y a donc une grande similarité, ou congruence, entre ce qui est ressenti au niveau viscéral, ce qui est présent à la conscience, et ce qui est manifesté au client.

La seconde attitude qui est essentielle à la création d’un climat de changement est l’acceptation, l’attention, l’estime – ce que j’ai appelé le regard positif inconditionnel. Lorsque le thérapeute éprouve une attitude positive et d’acceptation face à tout ce que le client est en ce moment, peu importe ce qu’il est à ce moment-là, il est vraisemblable qu’un mouvement ou changement thérapeutique se produira. Le thérapeute est désireux que le client soit le sentiment immédiat qu’il éprouve au moment même, quel que soit ce sentiment : confusion, ressentiment, crainte, colère, amour ou orgueil. Cette attention de la part du thérapeute n’est pas possessive. L’estime qu’il a pour son client est plutôt totale que conditionnelle.

Le troisième aspect facilitateur de la relation est la compréhension empathique. Cela signifie que le thérapeute ressent avec justesse les sentiments et les significations de ce dont le client est en train de faire l’expérience. Cela signifie aussi que le thérapeute lui communique cette compréhension. Quand il est au mieux de son fonctionnement, le thérapeute est tellement à l’intérieur du monde de l’autre que non seulement il peut clarifier les significations de ce dont le client a pris conscience mais aussi de celles qui se situent juste au dessous du niveau de la prise de conscience. Ce type d’écoute sensible et actif est extrêmement rare dans nos vies. Nous pensons écouter mais notre écoute est rarement assortie d’une compréhension réelle, d’une véritable empathie. Pourtant une écoute de ce type très particulier est l’une des plus puissantes forces de changement que je connaisse.

Comment le climat que je viens de décrire peut-il être facteur de changement ? Brièvement je dirai que lorsque les personnes sont acceptées et estimées, elles ont tendance à être davantage bienveillantes vis-à-vis d’elles-mêmes. Lorsque les personnes sont entendues avec empathie elles peuvent écouter avec plus de justesse le flot de leurs experiencings[2] internes. Dans la mesure où une personne comprend et estime son propre soi, le soi devient plus congruent avec les experiencings. La personne devient plus réelle, plus authentique. Ces tendances, réciproques des attitudes du thérapeute, permettent à la personne d’être un acteur encore plus efficace dans l’accomplissement de son propre développement. A être vraie et totalement elle-même la personne jouit d’une plus grande liberté.


[1] Le terme counseling est couramment utilisé par Rogers en lieu et place de psychothérapie.

[2] Experiencing: terme qui n’a pas d’équivalent lexical en français. Il signifie une expérience interne qui est en train de se faire.

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