Nous avons appris à penser, à comprendre, à analyser… bref à développer notre intelligence « intellectuelle »… Mais nous avons peu appris à ressentir, à écouter nos colères ou nos désespoirs, à les accueillir, les apprivoiser et les canaliser… bref à développer notre intelligence « émotionnelle »… Nos émotions ont souvent été suspectées de faiblesse : il fallait les faire taire et les « ravaler » jusqu’à la nausée…
Ne nous étonnons donc pas que ces émotions refoulées viennent parfois tout bouleverser, et suscitent tant de dégâts en nous et autour de nous : vagues qui nous submergent dans nos vies personnelles ; conduites agressives en famille ou au travail ; colères sociales qui enferment dans le « chacun pour soi » ; violences qui terrorisent quand on se croit humilié ou rejeté…
Il est de moments rares où l’émotion rassemble, plus forte que le « chacun pour soi », que l’opposition des opinions ou la peur de l’autre. Cette émotion qui rassemble n’est certes pas sans ambiguïté… Elle a aussi besoin d’être traitée pour se transformer en pratique quotidienne de l’union dans le respect de la diversité.
Mais seule l’émotion peut rassembler. Elle rassemble des personnes, si différentes parfois, dans la même joie pour la naissance d’un enfant, pour fêter les amoureux ou une réussite professionnelle… dans la même peine pour la mort d’un proche, dans la même stupeur face à la violence de la nature ou des évènements… Les humains sont très différents, mais leur ressentis se ressemblent. Pour penser juste, un humain a d’abord besoin de ressentir, d’être « sensibilisé », de se « sentir » concerné. Lorsque la pensée se sépare de l’émotion, elle devient « doctrinaire » et fondamentaliste. Lorsque l’émotion se sépare de la pensée, elle déborde jusqu’à l’agressivité et à la violence.
On peut combattre des opinions (par exemple le racisme), on peut débattre vigoureusement sur des idées différentes (par exemple les débats politiques). Mais ce débat d’idées tourne aussi très vite à l’affrontement idéologique, chacun cherchant à prouver qu’il a raison, et que l’autre a tort, parfois jusqu’à l’écrasement.
Au contraire, lorsque l’émotion est exprimée, accueillie et respectée, elle nous rapproche et nous identifie à l’autre : « condoléances » (au sens propre de souffrir avec, souffrir de la souffrance de l’autre), ou encore « Je suis… ». Les besoins de chacun sont reconnus par les autres et la recherche de leur satisfaction dépasse le « chacun pour soi » pour devenir solidaire.
Mais tout ce que je viens d’écrire peut rester des belles paroles et des théories figées… si nous ne l’exerçons pas au quotidien. Je vous propose donc un exercice pratique : quittez les discours qui justifient le positionnement que vous avez pris pendant les évènements de début janvier en France. Quittez ces débats tendus qui voudraient convaincre l’autre que vous aviez raison d’être ou de ne pas être Charlie…
A la place de ces débats stériles, faites le choix d’échanger avec respect sur ce que chacun de vous a ressenti dans ces moments là : qu’est-ce qui vous a choqués ? qu’est-ce qui vous a fait mal ? qu’est-ce qui vous a réjouis ?
Nous avons tous été choqués, mais ce ne sont pas les mêmes choses qui nous ont choqués. Nous avons tous « communié » dans la souffrance, beaucoup ont marché ensemble… mais nous n’avons pas souffert de la même chose ni marché pour les mêmes raisons. Nous nous sommes réjouis peut-être, mais pas forcément pour les mêmes motifs. Ces échanges donneront la parole à chacun, à l’unique condition d’accueillir les ressentis de l’autre sans les juger.
Nos chocs exprimés et accueillis sans jugements deviendront moins lourds et pourront se transformer en motivation pour agir. Nos oppositions se transformeront en ressources et en complémentarités. Une intelligence émotionnelle nous permettra de penser et d’agir plus juste… et de rester ensemble.
Marc THOMAS, Consultant formateur en « Compétences relationnelles »
janvier 2015