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Accueillir et canaliser les émotions

Cet interview a été réalisé à l’initiative de « Église à la Réunion » en mars 2011, à l’occasion de trois formations  intitulées « Canaliser les émotions et s’en servir pour agir »

Mal-être au travail

Couverture2Des suicides répétés dans une grande entreprise française remettent sous les feux des projecteurs le stress et le mal-être au travail.

Je ne connais pas de l’intérieur France Telecom, mais je connais un peu plus d’autres contextes professionnels.

Dans le monde hospitalier par exemple, je décèle des contradictions croissantes qui génèrent des tensions parfois insupportables : contradiction entre une nécessaire gestion économique (qui exige des restrictions pour sauvegarder notre système de protection sociale) et une aussi nécessaire gestion de la qualité des soins (qui exige d’accroître les moyens humains et matériels). Des cadres et des personnels hospitaliers sont écartelés dans cette contradiction.

Une personne qui travaille dans une structure d’accompagnement vers l’emploi m’écrit ces jours-ci : « (Après les restructurations), les conditions de travail se sont encore plus dégradées que par le passé,… moi qui croyais que nous avions déjà touché le fond… »

Bien souvent ces contradictions qui écartèlent sont inévitables. Mais elles ne sont pas les premières causes de mal-être. À France Telecom, c’est la pression d’un management inhumain qui est pointée.

Il ne sert à rien d’envoyer des salariés en formation pour apprendre à gérer leur stress si on ne fait pas baisser les générateurs institutionnels de stress, et si on ne restaure pas d’abord dans l’entreprise des instances de communication et de débat respectueuses des personnes, mais aussi de la démocratie.

Dans les établissements de soins, les équipes où le management favorise la communication et le dialogue voient diminuer de 30% le nombre de congés maladie.

Marc THOMAS, Consultant Formateur en « Compétences relationnelles »
octobre 2009

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La violence a ses raisons que la raison ne connaît pas

Couverture2Dénoncer la violence ? Réprimer les violents ?
Si cela suffisait, ça se saurait !
Et si les contextes éducatifs étaient aussi générateurs de violence…

La violence des jeunes : un préjugé

Violence, jeunes, banlieues, collèges, lycées… Ces mots sont souvent associés dans le vocabulaire courant, et par des généralisations hâtives : « les jeunes » (quels jeunes ? tous ?) seraient violents… Les collèges ou lycées seraient ingérables… Les quartiers sensibles seraient des coupe-gorge… Sur de telles associations gratuites ou généralisations stéréotypées se construisent les peurs, les appels au sécuritaire et à la répression, les prises de pouvoir rigides… et les contre-pouvoirs violents qu’elles engendrent.

Qu’est-ce qui pousse des jeunes, dans certains contextes, à faire violence aux autres, et à eux-mêmes ?

La violence n’est pas l’apanage des seuls jeunes : la violence routière, les conflits de voisinage, les exactions de toutes sortes, les détournements de fonds ou trafics d’influences, les conflits locaux ou internationaux… sont le fait des générations qui les précèdent. Les médias en rendent compte à longueur de journée.

Il n’y a pas de violence gratuite

Dans leur entourage immédiat, certains jeunes n’ont connu que des adultes violents, verbalement ou physiquement. Ils n’ont jamais eu l’occasion d’apprendre que les légitimes tensions et conflits peuvent se régler autrement que par la violence. Sans les excuser, il suffit de leur permettre d’apprendre qu’il existe des lieux et des relations où il n’est pas utile de crier pour être écouté, ni de frapper pour demander. La véritable prévention est accompagnement dans l’apprentissage d’un style de relations humaines qu’ils ne connaissent pas.

La violence de certains jeunes est liée au passage de l’adolescence. Cette période est marquée par des tensions intérieures violentes. Personne ne passe de l’enfance à l’age adulte sans s’essayer à la transgression. La véritable prévention est ici accompagnement à l’apprentissage de l’autonomie : cette autonomie qui permet d’apprendre à faire ses propres choix, à tirer leçon de l’échec ou de l’erreur, et à choisir de respecter par soi-même les lois de la vie en société.

On entend dire souvent que les parents démissionnent. C’est faux : on ne démissionne que de responsabilités déjà assumées. Or ces parents, souvent eux-mêmes marqués par l’instabilité, la précarité ou l’échec, se trouvent totalement démunis devant des bouleversements qu’ils ne comprennent pas et devant leurs enfants qu’ils ne reconnaissent plus : comment pourraient-ils y faire face ? Ils ne peuvent réagir autrement que par l’impuissance absolue ou par la violence destructrice.

La « constellation » des instances éducatives

Dans son éducation elle-même, un jeune se trouve au centre d’une « constellation » de lieux et d’instances éducatives : à la maison, ses parents ; à l’école, ses professeurs ; dans le quartier, la bande et les divers services et travailleurs sociaux. Sans compter les pouvoirs publics… Chaque lieu ou chaque instance a sa propre « culture » : ses propres valeurs, ses règles, ses codes, ses contraintes, ses projets… Au centre de cette constellation, le jeune est soumis à toutes ces influences. On entend dire souvent que les jeunes n’ont plus de repères. Ils en ont trop au contraire, et comment s’y retrouveraient-ils dans ce foisonnement de repères imposés et souvent contradictoires ?

A la maison, des parents crient tout le temps, imposent des règles indiscutables ou laissent faire… A l’école, l’équipe éducative demande d’autres règles de communication et de respect, elle évalue la réussite ou l’échec de chacun, elle veut développer l’autonomie et l’initiative… Dans le quartier, les travailleurs sociaux cherchent à rejoindre les jeunes tels qu’ils sont et à accompagner leurs débordements… Dans la rue, le plus fort est le chef, et toute rupture de la solidarité de la bande entraîne l’exclusion violente…

Des jeunes victimes de l’incohérence des adultes

Ce ne sont là que quelques exemples, loin d’être exhaustifs. Mais il faut reconnaître que les exigences des uns ne sont pas toujours cohérentes avec celles des autres.

De plus, ces diverses instances éducatives, qui s’adressent aux mêmes jeunes, sont souvent dans l’ignorance l’une de l’autre. Peu de travailleurs sociaux et d’enseignants se connaissent et se concertent. Le dialogue parents-enseignants est souvent difficile. Les tensions de la rue résonnent parfois jusque dans l’école, et les adultes n’ont pas les éléments nécessaires pour les décoder.

Enfin, beaucoup de ces instances éducatives appuient leurs interventions sur leurs propres conceptions. Il faudrait nuancer cette affirmation, car bien des adultes cherchent à se mettre positivement à la disposition de la croissance des jeunes. Mais les parents réagissent souvent comme ils ont été eux-mêmes éduqués. Les professeurs ont des contraintes de programme, de classes surchargées et de critères de réussite. Les travailleurs sociaux n’ont pas toujours les moyens suffisants et adaptés pour réaliser leurs projets. La bande assure son existence en se protégeant du danger d’autres bandes. Et la police réprime pour assurer la sécurité publique… Dans ces contextes, qui a vraiment toujours les moyens de prendre en compte le jeune tel qu’il est ? de s’interroger sur ce qui est bon pour lui, sur ses centres d’intérêt et sur ses possibilités de réussite non encore envisagées ?

Au centre de cette constellation d’autorités souvent contradictoires, le jeune, déjà fragile, est « tiraillé » en tout sens ; il risque de n’entendre que la voix du plus fort. Au milieu de tant de repères incohérents, il ne peut se construire dans l’autonomie, ni faire émerger ses choix sur des bases solides.

Quelques pistes constructives

 Ces constats sont pessimistes. Une fois encore, il faudrait les nuancer. Mais l’explosion de la violence révèle qu’ils ne sont pas totalement hors de propos. Pour ouvrir des perspectives constructives dans un tel contexte, il nous semble que quatre pistes sont à explorer et mettre en œuvre :

  • analyser la violence de certains jeunes comme la conséquence d’une violence subie : les personnes violentes sont toujours responsables de leurs actes ; par contre, elles ne sont pas responsables des contextes et des attitudes éducatives incohérentes qui les ont empêchées de se construire. Si la seule répression des actes de violence suffisait à régler les problèmes, cela se saurait ! Il s’agit d’abord de travailler sur les causes – souvent externes aux jeunes eux-mêmes – qui engendrent les conditions de développement de la violence chez les êtres les plus fragiles.
  • travailler à la cohérence des systèmes éducatifs : en améliorant la communication et la confiance entre les parents, les enseignants, les travailleurs sociaux, les pouvoirs publics… En cherchant une complémentarité dans leurs interventions et « politiques » éducatives, sans demander à chacun de faire le même « métier ». Engager de vraies concertations. Entendre et chercher à comprendre les différences de chacun, non pour les gommer, mais pour vérifier leurs complémentarités.
  • rejoindre l’intérêt du jeune pour développer sa motivation à se construire : des travailleurs sociaux s’interrogent devant le petit nombre de jeunes qui rejoignent leurs structures ; des professeurs se lamentent devant l’absence de résultats de leurs efforts pédagogiques ; des parents ne savent plus « par quel bout » prendre leurs jeunes… Et chacun à sa manière renvoie au jeune des images négatives et finalement destructrices : elles ne font que renforcer la stigmatisation d’échec… et donc le besoin d’exister autrement, souvent par la violence envers soi-même et envers les autres. Mais, par exemple, lorsqu’un professeur prend le temps de découvrir et de valoriser les intérêts du jeune, même s’ils sont extra-scolaires, il n’est pas rare qu’il voit ce jeune se re-motiver. Simplement parce qu’on s’est intéressé à lui et qu’il a pu révéler une image positive de lui-même.
  • apprendre aux jeunes la légitime diversité des codes relationnels : on ne parle pas à son père ou à son professeur comme à son copain. Les jeunes mettent une casquette dans la rue comme signe identitaire, mais s’ils se présentent ainsi devant un patron, ils risquent de manquer l’embauche espérée. Dans la rue, ils parlent fort pour se faire entendre, et parce que règne la loi du plus fort ; mais à l’école, un verbe trop haut sera perçu comme agressif, et empêchera le jeune de découvrir qu’il existe des lieux où il n’a pas besoin de crier pour se faire entendre ! Il ne s’agit pas de rêver à l’universalité de codes valables pour tous, mais d’apprendre, en même temps que l’autonomie, le sens de l’adaptation nécessaire à toute relation. Sans oublier que cette adaptation est réciproque et concerne aussi les éducateurs ! Encore faut-il, pour cela, prendre le temps de s’expliquer et de comprendre les raisons des comportements différents.

La violence est toujours subie avant d’être agie. Sans excuser les transgressions ni déresponsabiliser les personnes, l’ « éducation » (au sens premier de « conduire hors de ») consiste toujours à libérer tout être humain, même le plus violent, à le « conduire hors » des poids et déchirures qu’il subit.

Marc THOMAS, Consultant Formateur en « Compétences relationnelles »
Mai 2003

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