Communiquer dans le couple

Couverture2JULIE et PAUL

Non-dits

Ca fait plusieurs jours que Paul rentre du travail plus tard que prévu, sans explication à Julie. Pourtant il savait qu’elle était en vacances et attendait son retour avec impatience. La suspicion s’insinue dans l’esprit de Julie : « Puisqu’il ne me dit rien, il a sûrement quelque chose à me cacher… Serait-ce cette collaboratrice rencontrée récemment dans une soirée ? » Quand Paul rentre, Julie reste à distance, avec une froideur que Paul ne lui connaissait pas. Il s’inquiète de savoir si quelque chose ne va pas, et il se dit que ça doit être encore les histoires avec sa mère qui la turlupinent !

Interprétations et jugements

Des petits faits tout simples du quotidien… et chacun reste sur son interprétation et sur les tensions et jugements qu’elle engendre. Mais pourquoi n’arrivent-ils pas à s’en parler ? Simplement parce qu’ils savent que dans ces situations, toute parole peut dégénérer en altercation blessante ou chacun accuse l’autre : « Tu ne penses même pas que je suis en vacances. D’ailleurs, si tu restes si longtemps au bureau, c’est bien qu’il y a là-bas plus intéressant que moi… » Et Paul de rétorquer : « N’importe quoi ! Quelle mouche t’a piquée ? C’est encore ta mère qui t’a mis la tête à l’envers ? »

Centré sur soi… centré sur l’autre…

Si ces paroles sont blessantes, c’est parce que chacun reste centré sur soi et interprète les faits à partir de sa propre souffrance. Conséquence : l’autre est jugé et condamné avant même de savoir ce qui s’est réellement passé. Pourtant, même dans les instances de justice, il n’y a jamais de jugement tant que « l’accusé » n’a pas eu la parole pour rendre compte de ses actes.

Pour vivre un amour sans violence, il suffisait pourtant d’une chose toute simple : suspendre toute accusation de l’autre à partir de mon interprétation, parler de ce que je vis et solliciter son explication à partir de ce qu’il vit : « Qu’est-ce qui se passe ? Explique-moi, je ne comprends pas »… Il s’agit pour Julie de pouvoir dire ce qu’elle ressent, tout en se centrant sur Paul : il n’y a que lui qui sait ce qu’il fait et pourquoi il le fait.

Julie aurait pu dire : « Je suis en vacances et j’attends ton retour avec impatience (elle parle d’elle), et toi tu restes plus longtemps au bureau (c’est un constat). » Et Paul aurait pu répondre : « Je vois que tu es inquiète (je t’ai entendue). Je ne peux rien te dire pour l’instant… Mais bientôt tu sauras et tu seras heureusement surprise ! ».

Parler en « je »

S’aimer sans violence, ça commence par suspendre toute interprétation et les jugements qu’elle entraîne pour laisser à l’autre la possibilité d’expliquer son propre comportement. Au lieu d’accuser l’autre en un « tu » qui « tue », parler de soi et laisser l’autre parler de lui, en un « je » qui assume la responsabilité de ses actes.

Transformer la peur en désir

S’ils avaient pu se dire cela, Julie aurait vu sa crainte se transformer en attente – et donc en désir – de la surprise que son compagnon préparait. Et Paul serait passé de l’acrimonie envers sa belle-mère à l’attention envers sa compagne. Du coup, peut-être Paul aurait pu tenir compte plus facilement de son impatience, il serait rentré plus tôt le lendemain… et aurait pu lui dire qu’il était resté au bureau après les heures de travail pour chercher sur Internet… et qu’il avait enfin trouvé… le voyage dont elle rêvait depuis longtemps !


CLAIRE et FRANÇOIS

Souffrance

Bertrand et Claire sont un couple aux personnalités différentes, mais très unis ; Il sont les heureux parents de quatre enfants. Jusqu’à la leucémie qui emporte leur fille de 8 ans en quelques mois. Ils font face avec courage pendant la maladie et au moment du décès, entourés par leur famille et leurs amis.

Tension

Mais le temps du deuil les éloigne l’un de l’autre et les disloque : François est un homme sensible ; il tente de cacher sa peine en se réfugiant dans le silence. Claire est une femme chaleureuse : elle tente d’assumer sa peine en s’engageant dans des activités sociales et éducatives multiples ; mais des soucis de santé viendront vite la freiner. Ils vivent la même peine, mais de façon tellement différente que la communication devient impossible : chacun s’enferme dans sa stratégie de survie. Tout en vivant côte à côte, ils s’éloignent l’un de l’autre.

Un ami de passage emmène leurs enfants pour une soirée de loisirs et leur lance : « Profitez-en donc pour vous retrouver tous les deux ! »

Oser se dire, à soi-même et à l’autre

Ce soir-là, au restaurant, ils ont pu se retrouver… Ils ont pu reconnaître ensemble la violence subie (la perte de leur fille), mais aussi la violence agie (leur éloignement progressif).

Ils ont pu se dire ce que leurs ressentis manifestent : à la fois leurs peurs et leurs besoins.

François avait peur de pleurer et de paraître faible, donc il se taisait. Claire avait peur de ne pas faire face, donc elle s’activait.

Ils ont pu accepter la différence de la stratégie de survie de l’autre, et consentir à la différence de leurs besoins : François avait besoin de silence et d’intérioriser, Claire avait besoin d’action et d’extérioriser.

Quand la peur et les besoins nourrissent l’amour

En disant ses peurs et ses besoins, François a découvert que ses larmes pouvaient être reçues par son épouse, non comme une faiblesse, mais comme une souffrance d’amour. Et cette transformation l’a fait sortir de son mutisme.

En disant ses peurs et ses besoins, Claire a découvert que ses activités n’étaient pas seulement générosité, mais fuite, et qu’elle pouvait se retrouver elle-même dans son être plutôt que dans le faire. Depuis ce temps, elle a contrôlé sa maladie et stoppé son évolution !

Ce qui fait violence à l’amour, c’est l’incapacité dans laquelle nous nous trouvons de dire à l’autre nos peurs et nos besoins. Parce que nous n’osons pas, parce que nous avons honte d’avoir peur, parce que nous ne voulons pas blesser l’autre. Mais ce silence fait mourir à petit feu.

Inexprimés et « ravalés », nos peurs et nos besoins deviennent agressivité ou soumission ; il nous enferment ou nous conduisent à la violence.

Exprimés et pris en compte dans la réciprocité, nos peurs et nos besoins se transforment et nous transforment. Et même les blessures, qui restent injustifiables, peuvent devenir des ressources de fécondité pour un amour sans violence.

Marc THOMAS, Consultant Formateur en « Compétences relationnelles »
juin 2009

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Ragots, commérages, « ladilafè »

Un enfant demande à son père :  » Dis papa, quel est le secret pour être heureux ? »

Alors le père demande a son fils de le suivre ;  ils sortent de la maison, le père sur leur vieil âne et le fils suivant à pied. Et les gens du village de dire :

« Mais quel mauvais père qui oblige ainsi son fils d’aller à pied ! »

« Tu as entendu mon fils ? Rentrons à la maison », dit le père.

Le lendemain ils sortent de nouveau, le père ayant installé son fils sur l’âne et lui marchant à côté. Les gens du village dirent alors :

« Quel fils indigne, qui ne respecte pas son vieux père et le laisse aller à pied ! « 

« Tu as entendu mon fils ? Rentrons à la maison. »

Le jour suivant ils s’installent tous les deux sur l’âne avant de quitter la maison. Les villageois commentèrent en disant :

« Ils ne respectent pas leur bête à la surcharger ainsi ! « 

« Tu as entendu mon fils ? Rentrons à la maison. »

Le jour suivant, ils partirent en portant eux-mêmes leurs affaires, l’âne trottinant derrière eux. Cette fois les gens du village y trouvèrent encore à redire :

« Voilà qu’ils portent eux-mêmes leurs bagages maintenant ! C’est le monde à l’envers ! « 

« Tu as entendu mon fils ? Rentrons à la maison. »

Arrivés à la maison, le père dit à son fils :

« Tu me demandais l’autre jour le secret du bonheur.
Peu importe ce que tu fais, il y aura toujours quelqu’un pour y trouver à redire.
Fais ce qui te plaît et tu seras heureux. »

Auteur inconnu

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Des stratégies pour gérer les conflits

A la demande de l’université de Sherbrooke, au Canada, Marc THOMAS a écrit un article intitulé : « Choisir les stratégies adaptées pour gérer les conflits », publié dans la Revue de Prévention et de Règlement des Différences de la Faculté de Droit de l’Université de Sherbrooke à l’automne 2005.

La table des matières de cet article est la suivante:

  1. Le Conflit : Risque et opportunité
  2. Détermination et adaptabilité sont constitutifs de l’être humain
  3. Des positionnements et stratégies spontanés en situations difficiles
  4. Des positionnements et stratégies travaillés en situations difficiles
  5. Antipathie, « sympathie », apathie, empathie
  6. Transformer la violence en conflit
  7. Passer de la violence au conflit
    Conclusion
    Bibliographie

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Sanction

Couverture2Ce texte a été publié par la revue NON-VIOLENCE ACTUALITE
n° 277 – Novembre-Décembre 2004 – www.nonviolence-actualite.org

LA PREMIÈRE HEURE DU PREMIER JOUR DE CLASSE…

Monique a été 27 ans professeur principal dans un collège de ZEP. Elle est maintenant formatrice à l’IUFM. Pendant les formations d’enseignants, elle demande souvent à ses collègues : « Que faites-vous et que dites-vous à vos élèves dans la première heure du premier jour de l’année scolaire ? »

Et les professeurs reconnaissent que le plus souvent, ils veulent « prendre en mains » leur classe et affirmer leur autorité, et donc qu’ils commencent par rappeler le règlement intérieur et l’exigence absolue de le respecter sous peine de sanctions immédiates.

ÉLABORER ENSEMBLE…

Alors Monique raconte que, dans son collège peuplé d’élèves réputés difficiles, elle n’a jamais commencé par rappeler le règlement intérieur. A la première heure du premier jour de cours, elle commençait toujours à dire aux élèves : « Nous allons avoir environ 150 heures de cours au long de cette année. Nous ne nous sommes pas choisis, mais la réalité est là : nous allons vivre ensemble toutes ces heures. Que pouvons-nous faire pour nous faciliter la vie en donnant plus de qualité à la vie commune ? »

D’abord surpris, les élèves inventaient avec elle :

– « Madame, on pourrait faire des sorties ? » « Oui, répondait-elle, si vous me faites des propositions de visite qui vont dans le sens du programme. »

– « Madame, on peut apporter des jeux ? » « Non, nous ne sommes pas là pour jouer, sauf si ces jeux nous permettent d’apprendre le français, les maths … »

– « Madame, on pourra parler d’autre chose que du programme ? » « Et de quoi voudriez-vous parler ? » Les élèves cherchaient… Après quelques propositions qui n’avaient rien à voir avec l’école, l’un dit : « On pourrait parler de ce qu’on voit à la télé. » Un autre ajoutait : « On pourrait parler de ce qui ne va pas dans la classe. »

… UNE CHARTE DU « VIVRE-ENSEMBLE »

Alors, Monique répond : « Oui, il vaudrait mieux parler ensemble de ce qui ne va pas, plutôt que de laisser les choses dégénérer. D’ailleurs je vous propose qu’on consacre la fin de cette première heure de classe à écrire « la charte du vivre-ensemble » pour ces 150 heures de classe. Éliminez d’avance les phrases qui commencent par « il ne faut pas… » ; remplacez-les par une phrase sans négation qui commence par : « nous choisissons… nous décidons… ».

A la fin de ce travail, un élève dit : « Et celui qui ne respecte pas la charte, il sera sanctionné. » « Oui, répond Monique, il sera sanctionné, non pas parce que j’en ai le pouvoir comme professeur, mais parce qu’il se sera lui-même exclu de la charte du vivre ensemble dont l’application est sous la responsabilité de tous. »

Ce faisant, Monique a remis dans le bon sens ce que la peur nous fait souvent mettre sens dessus dessous, laissant place au pouvoir arbitraire ou à la démission. Devant une classe d’adolescents turbulents, la peur de perdre pied nous fait imposer les règles et agiter l’épouvantail de la sanction… alors même que nous savons que la plupart des sanctions et des exclusions n’ont pas l’effet escompté…

D’ABORD LE VIVRE ENSEMBLE, ENSUITE LA LOI QUI EN EST L’APPLICATION

Monique a remis les choses dans le bon sens, faisant le choix d’un apprentissage de la démocratie : ce qui est premier en effet dans un groupe, ce n’est pas la Loi, mais la capacité à vivre ensemble ; cela s’appelle aussi citoyenneté, intégration, lien social, cohésion… Cette capacité à vivre ensemble est une valeur structurante sur laquelle des jeunes et des adultes peuvent se motiver si les moyens leur sont donnés d’en découvrir l’intérêt… Car l’élève et le professeur – comme tout être humain – ne se motivent que s’ils perçoivent de l’intérêt. Et l’Ecole de la République est un lieu privilégié d’apprentissage du vivre ensemble et d’ancrage de ce vivre ensemble comme valeur fondamentale.

C’est en second lieu seulement que la Loi prend sens comme garante et garantie du choix que l’on a fait de vivre ensemble. La Loi toute seule n’est pas un repère, mais une alarme… et l’on sait que les jeunes aiment jouer à déclencher les signaux d’alarme ! La Loi ne devient repère qu’associée à la valeur reconnue qui la fonde.

ET ENSUITE SEULEMENT, TOUT A LA FIN, VIENT LA SANCTION

La sanction n’est pas une punition, c’est-à-dire une peine et un poids imposés sur les épaules du contrevenant ; la sanction est la conséquence d’une conduite transgressive qui met en danger le vivre ensemble du groupe comme celui qui, par son acte, s’en est exclu. La sanction dit aussi que chacun est responsable des valeurs du groupe.

PRENDRE LE POUVOIR OU FAIRE AUTORITÉ ?

Les professeurs qui écoutaient Monique en formation avaient parfois un sourire dubitatif : Monique ne serait-elle pas une douce rêveuse emportée par ses illusions, bien loin de la réalité d’une confrontation difficile avec des élèves « qui ne sont plus ce qu’ils étaient » ?

Alors Monique interrogeait les professeurs sur leur manière de se positionner dans leur classe :

  • sont-ils les détenteurs d’un pouvoir qu’il faut imposer, jusqu’à la contrainte, à des adolescents prêts à en découdre ? A ceux-là, Monique disait qu’ils alimentaient eux-mêmes le rapport de force et qu’ils risquaient d’amplifier la violence en retour de leurs élèves…
  • ou bien sont-ils des personnes dont l’autorité est reconnue par leurs élèves parce que ceux-ci se sentent respectés et responsabilisés, sans démagogie ? Et Monique ajoutait qu’en 27 ans de carrière dans des établissements reconnus « à risque », elle n’avait jamais été victime d’exactions de la part de ses élèves.

Enfin, Monique évoquait certains élèves déstructurés par une histoire chaotique et qui avaient bien du mal à reconnaître le « vivre-ensemble » comme une valeur. Elle rappelait que, sur ces élèves-là, la sanction n’avait aucun effet, sinon celui de les stigmatiser un peu plus et de renforcer leur exclusion. C’est pourquoi elle insistait sur la patience et le temps nécessaires pour leur permettre d’avoir la chance de découvrir une valeur que personne d’autre que l’école ne pouvait leur apprendre. Et Monique faisait confiance au groupe, affirmant que, dans la dynamique de groupe qu’elle instaurait, certains élèves apprenaient à leurs copains ce que le professeur ne pouvait pas leur apprendre…

Marc THOMAS – Consultant Formateur en « Compétences relationnelles »
avec l’accord de Monique
septembre 2004

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La violence a ses raisons que la raison ne connaît pas

Couverture2Dénoncer la violence ? Réprimer les violents ?
Si cela suffisait, ça se saurait !
Et si les contextes éducatifs étaient aussi générateurs de violence…

La violence des jeunes : un préjugé

Violence, jeunes, banlieues, collèges, lycées… Ces mots sont souvent associés dans le vocabulaire courant, et par des généralisations hâtives : « les jeunes » (quels jeunes ? tous ?) seraient violents… Les collèges ou lycées seraient ingérables… Les quartiers sensibles seraient des coupe-gorge… Sur de telles associations gratuites ou généralisations stéréotypées se construisent les peurs, les appels au sécuritaire et à la répression, les prises de pouvoir rigides… et les contre-pouvoirs violents qu’elles engendrent.

Qu’est-ce qui pousse des jeunes, dans certains contextes, à faire violence aux autres, et à eux-mêmes ?

La violence n’est pas l’apanage des seuls jeunes : la violence routière, les conflits de voisinage, les exactions de toutes sortes, les détournements de fonds ou trafics d’influences, les conflits locaux ou internationaux… sont le fait des générations qui les précèdent. Les médias en rendent compte à longueur de journée.

Il n’y a pas de violence gratuite

Dans leur entourage immédiat, certains jeunes n’ont connu que des adultes violents, verbalement ou physiquement. Ils n’ont jamais eu l’occasion d’apprendre que les légitimes tensions et conflits peuvent se régler autrement que par la violence. Sans les excuser, il suffit de leur permettre d’apprendre qu’il existe des lieux et des relations où il n’est pas utile de crier pour être écouté, ni de frapper pour demander. La véritable prévention est accompagnement dans l’apprentissage d’un style de relations humaines qu’ils ne connaissent pas.

La violence de certains jeunes est liée au passage de l’adolescence. Cette période est marquée par des tensions intérieures violentes. Personne ne passe de l’enfance à l’age adulte sans s’essayer à la transgression. La véritable prévention est ici accompagnement à l’apprentissage de l’autonomie : cette autonomie qui permet d’apprendre à faire ses propres choix, à tirer leçon de l’échec ou de l’erreur, et à choisir de respecter par soi-même les lois de la vie en société.

On entend dire souvent que les parents démissionnent. C’est faux : on ne démissionne que de responsabilités déjà assumées. Or ces parents, souvent eux-mêmes marqués par l’instabilité, la précarité ou l’échec, se trouvent totalement démunis devant des bouleversements qu’ils ne comprennent pas et devant leurs enfants qu’ils ne reconnaissent plus : comment pourraient-ils y faire face ? Ils ne peuvent réagir autrement que par l’impuissance absolue ou par la violence destructrice.

La « constellation » des instances éducatives

Dans son éducation elle-même, un jeune se trouve au centre d’une « constellation » de lieux et d’instances éducatives : à la maison, ses parents ; à l’école, ses professeurs ; dans le quartier, la bande et les divers services et travailleurs sociaux. Sans compter les pouvoirs publics… Chaque lieu ou chaque instance a sa propre « culture » : ses propres valeurs, ses règles, ses codes, ses contraintes, ses projets… Au centre de cette constellation, le jeune est soumis à toutes ces influences. On entend dire souvent que les jeunes n’ont plus de repères. Ils en ont trop au contraire, et comment s’y retrouveraient-ils dans ce foisonnement de repères imposés et souvent contradictoires ?

A la maison, des parents crient tout le temps, imposent des règles indiscutables ou laissent faire… A l’école, l’équipe éducative demande d’autres règles de communication et de respect, elle évalue la réussite ou l’échec de chacun, elle veut développer l’autonomie et l’initiative… Dans le quartier, les travailleurs sociaux cherchent à rejoindre les jeunes tels qu’ils sont et à accompagner leurs débordements… Dans la rue, le plus fort est le chef, et toute rupture de la solidarité de la bande entraîne l’exclusion violente…

Des jeunes victimes de l’incohérence des adultes

Ce ne sont là que quelques exemples, loin d’être exhaustifs. Mais il faut reconnaître que les exigences des uns ne sont pas toujours cohérentes avec celles des autres.

De plus, ces diverses instances éducatives, qui s’adressent aux mêmes jeunes, sont souvent dans l’ignorance l’une de l’autre. Peu de travailleurs sociaux et d’enseignants se connaissent et se concertent. Le dialogue parents-enseignants est souvent difficile. Les tensions de la rue résonnent parfois jusque dans l’école, et les adultes n’ont pas les éléments nécessaires pour les décoder.

Enfin, beaucoup de ces instances éducatives appuient leurs interventions sur leurs propres conceptions. Il faudrait nuancer cette affirmation, car bien des adultes cherchent à se mettre positivement à la disposition de la croissance des jeunes. Mais les parents réagissent souvent comme ils ont été eux-mêmes éduqués. Les professeurs ont des contraintes de programme, de classes surchargées et de critères de réussite. Les travailleurs sociaux n’ont pas toujours les moyens suffisants et adaptés pour réaliser leurs projets. La bande assure son existence en se protégeant du danger d’autres bandes. Et la police réprime pour assurer la sécurité publique… Dans ces contextes, qui a vraiment toujours les moyens de prendre en compte le jeune tel qu’il est ? de s’interroger sur ce qui est bon pour lui, sur ses centres d’intérêt et sur ses possibilités de réussite non encore envisagées ?

Au centre de cette constellation d’autorités souvent contradictoires, le jeune, déjà fragile, est « tiraillé » en tout sens ; il risque de n’entendre que la voix du plus fort. Au milieu de tant de repères incohérents, il ne peut se construire dans l’autonomie, ni faire émerger ses choix sur des bases solides.

Quelques pistes constructives

 Ces constats sont pessimistes. Une fois encore, il faudrait les nuancer. Mais l’explosion de la violence révèle qu’ils ne sont pas totalement hors de propos. Pour ouvrir des perspectives constructives dans un tel contexte, il nous semble que quatre pistes sont à explorer et mettre en œuvre :

  • analyser la violence de certains jeunes comme la conséquence d’une violence subie : les personnes violentes sont toujours responsables de leurs actes ; par contre, elles ne sont pas responsables des contextes et des attitudes éducatives incohérentes qui les ont empêchées de se construire. Si la seule répression des actes de violence suffisait à régler les problèmes, cela se saurait ! Il s’agit d’abord de travailler sur les causes – souvent externes aux jeunes eux-mêmes – qui engendrent les conditions de développement de la violence chez les êtres les plus fragiles.
  • travailler à la cohérence des systèmes éducatifs : en améliorant la communication et la confiance entre les parents, les enseignants, les travailleurs sociaux, les pouvoirs publics… En cherchant une complémentarité dans leurs interventions et « politiques » éducatives, sans demander à chacun de faire le même « métier ». Engager de vraies concertations. Entendre et chercher à comprendre les différences de chacun, non pour les gommer, mais pour vérifier leurs complémentarités.
  • rejoindre l’intérêt du jeune pour développer sa motivation à se construire : des travailleurs sociaux s’interrogent devant le petit nombre de jeunes qui rejoignent leurs structures ; des professeurs se lamentent devant l’absence de résultats de leurs efforts pédagogiques ; des parents ne savent plus « par quel bout » prendre leurs jeunes… Et chacun à sa manière renvoie au jeune des images négatives et finalement destructrices : elles ne font que renforcer la stigmatisation d’échec… et donc le besoin d’exister autrement, souvent par la violence envers soi-même et envers les autres. Mais, par exemple, lorsqu’un professeur prend le temps de découvrir et de valoriser les intérêts du jeune, même s’ils sont extra-scolaires, il n’est pas rare qu’il voit ce jeune se re-motiver. Simplement parce qu’on s’est intéressé à lui et qu’il a pu révéler une image positive de lui-même.
  • apprendre aux jeunes la légitime diversité des codes relationnels : on ne parle pas à son père ou à son professeur comme à son copain. Les jeunes mettent une casquette dans la rue comme signe identitaire, mais s’ils se présentent ainsi devant un patron, ils risquent de manquer l’embauche espérée. Dans la rue, ils parlent fort pour se faire entendre, et parce que règne la loi du plus fort ; mais à l’école, un verbe trop haut sera perçu comme agressif, et empêchera le jeune de découvrir qu’il existe des lieux où il n’a pas besoin de crier pour se faire entendre ! Il ne s’agit pas de rêver à l’universalité de codes valables pour tous, mais d’apprendre, en même temps que l’autonomie, le sens de l’adaptation nécessaire à toute relation. Sans oublier que cette adaptation est réciproque et concerne aussi les éducateurs ! Encore faut-il, pour cela, prendre le temps de s’expliquer et de comprendre les raisons des comportements différents.

La violence est toujours subie avant d’être agie. Sans excuser les transgressions ni déresponsabiliser les personnes, l’ « éducation » (au sens premier de « conduire hors de ») consiste toujours à libérer tout être humain, même le plus violent, à le « conduire hors » des poids et déchirures qu’il subit.

Marc THOMAS, Consultant Formateur en « Compétences relationnelles »
Mai 2003

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Apprendre à vivre

Dev-Hum-Couverture1Quand tu es né, tu as forcé le passage, au risque d’étouffer,
et ta mère s’est déchirée…
dans la souffrance de l’amour, tu es devenu vivant…

Quand pour la première fois tu as lâché la main,
tes jambes fragiles ont entraîné ta chute et tu as pleuré
dans l’élan de ta chute, tu as appris à  marcher…

Quand tes petits doigts d’enfant se sont approchés du feu, tu as crié…
dans la brûlure,
tu as appris à maîtriser les risques, à apprivoiser le monde…

Quand tu as rencontré d’autres enfants, vous avez cherché qui était le plus fort.
Vous vous êtes parfois battus ou fâchés…
dans la rivalité et le conflit,
tu as appris la paix, la solidarité et la victoire de l’amitié…

Quand tu es passé par l’adolescence, tu ne reconnaissais plus ni ta voix ni ton corps.
Tu te sentais parfois si différent d’avant, et même étranger à toi-même…
dans ces bouleversements de toute croissance,
tu es devenu homme ou femme…

Quand tu t’es disputé avec celui ou celle que tu aimes…
dans la blessure du cœur, tu as découvert
la richesse du pardon et le prix de l’amour…

Quand tu es passé par l’échec personnel, scolaire, professionnel,
tu as perdu confiance en toi,
dans l’ébranlement de tes certitudes,
tu as découvert en toi des possibilités que tu ignorais…

Quand j’ai quitté mon métier de 25 ans, et quand mes convictions en ont été bouleversées,
je me suis retrouvé sans sécurité et sans repères, des amis se sont éloignés…
dans ce décapage, je suis devenu moi-même,
reconstruisant mes compétences, retrouvant des convictions habitées…

Tu peux espérer  un monde sans difficulté, tu peux être dans les nuages,
t’évader dans l’illusion, rêver d’un paradis perdu…
Mais que devient ton rêve quand tu ouvres les yeux, sinon désillusion et déception ?

La passion de la vie, c’est tout autre chose…
Rappelle-toi les deux sens du mot « passion » en français :
passion passionnée des amoureux, passion souffrante de tous les chemins de croix,
Il faut les deux pour être Vivant ! 

Marc THOMAS – Consultant Formateur en « Compétences relationnelles »
2002

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Les jeunes et l’autorité

Couverture2L’insécurité est actuellement au cœur des débats de la société française. La délinquance et la violence sont stigmatisées et un certain nombre de jeunes sont souvent désignés comme fauteurs de troubles. Si les sanctions sont nécessaires, elles ne sauraient être suffisantes pour éradiquer la délinquance. Il est nécessaire en effet de situer celle-ci dans le contexte plus large du rapport des jeunes à l’autorité.

L’autorité éducative n’est pas à confondre avec un pouvoir répressif. Le mot autorité a pour origine un mot latin (auctoritas), venant du verbe augere qui a donné les mots français : augmenter, acteur, auteur… La véritable autorité fait croître l’être sur lequel elle s’exerce, afin qu’il devienne auteur de sa propre vie et responsable dans la société.

Lorsque cette autorité s’applique à des jeunes, elle est un élément indispensable de l’attitude éducative. Le mot « éduquer » vient aussi du latin « ex-ducare », qui se traduit littéralement par : « conduire hors de ». La meilleure image de cette attitude est peut-être celle du poussin qui sort de l’œuf pour apprendre à marcher tout seul… ou encore de l’enfant sortant du ventre maternel pour respirer et vivre de façon autonome : ici commence l’ « é-ducation ».

Cette autorité a trois fonctions principales : assurer la protection de celui qui n’a pas encore conscience du danger ; poser des cadres, des références pour accompagner la construction identitaire et assurer la croissance ; favoriser la vie sociale en permettant la confrontation pacifique à l’altérité. L’autorité est comme un tuteur et un engrais qui favorisent la croissance. Lorsque la protection est reconnue et l’attitude éducative perçue comme moyen de croissance, l’autorité suscite la confiance et la prise de responsabilité. Le pouvoir, ou cette perversion de l’autorité qu’est l’autoritarisme, ne peuvent susciter que l’obéissance, la soumission ou le rapport de force.

Avant de dénoncer les exactions de certains jeunes, il convient de s’interroger sur la nature de l’autorité qui les aide à grandir comme personnes responsables. Or la société française actuelle laisse apparaître bien des fissures.

On dit par exemple que les jeunes n’ont plus de repères. Sont désignées l’instabilité des familles, la multiplication des référents culturels, le développement des techniques de communication qui ouvrent des espaces inconnus et infinis, l’accélération du rythme de la vie, le développement de la précarité, etc. Peut-être vaudrait-il mieux dire qu’il ne s’agit pas tant d’une absence de repères que d’un tourbillon de repères disponibles, sans capacité adéquate de choix et de jugement de valeur sur leur pertinence.

On dit encore que les jeunes contestent l’autorité. Or ils sont au centre d’une constellation d’autorités : l’autorité parentale, l’autorité des enseignants, l’autorité des responsables de la vie sociale. Peut-être les jeunes s’y repèreraient-ils mieux si ces diverses sources d’autorité, qui devraient être complémentaires, vérifiaient leur cohérence réciproque.

Et encore, les enseignants et travailleurs sociaux dénoncent souvent la démission des parents : ils ne rempliraient pas leur rôle, ils ne viendraient jamais aux réunions, ils n’auraient pas sur leurs enfants l’autorité nécessaire pour les remettre dans le droit chemin… Ceux qui disent cela sont centrés sur eux-mêmes et sur leurs propres attentes. Il leur manque de se centrer sur les parents et de se demander pourquoi ils ne remplissent pas le rôle que l’école ou la société attend d’eux. A y regarder de plus près, on se rend compte que les parents eux-mêmes sont dans la souffrance ou la précarité, qu’ils se sentent dépassés par des comportements nouveaux de leurs enfants devant lesquels personne ne les a aidés à réagir, qu’ils portent souvent eux-mêmes la honte de leurs propres échecs scolaires, personnels ou professionnels. La véritable question devrait être de savoir comment leur offrir les moyens d’être en capacité de remplir leur rôle de parents. On démissionne d’un rôle qu’on a déjà tenu. La plupart des parents concernés n’ont jamais pu tenir ce rôle car ils n’en ont pas reçus les moyens. Ils ont plus besoin d’accompagnement que de reproches.

D’après un sondage récent (IPSOS France, mai 2001), 65 % des pères ont le sentiment de ne pas avoir assez de temps pour leurs enfants, et 61 % des mères ont le sentiment de ne pas savoir protéger leurs enfants des éléments extérieurs. Il vaudrait mieux constater ces faits et en chercher les causes et remédiations personnelles et sociales, avant de les interpréter par des jugements trop hâtifs à partir de nos seules préoccupations.

Ceci est d’autant plus vrai que l’autorité parentale n’est pas seulement bousculée par les mutations sociales. Elle est aussi très marquée par les différences culturelles. Les rôles du père et de la mère sont fortement connotés par leur histoire personnelle et par leur culture d’origine. Société traditionnelle et société moderne s’opposent souvent : pour l’une prime la cohésion, pour l’autre la liberté individuelle et la compétition ; pour l’une les repères, souvent de droit divin, sont inamovibles, pour l’autre, le peuple fait les lois et les repères sont mouvants ; pour l’une la hiérarchie suscite le respect, pour l’autre l’égalité citoyenne suscite le débat ; pour l’une le rôle de chacun dans la société est déterminé par sa place dans la génération, les rites initiatiques et des statuts stables, pour l’autre elle dépend de la majorité légale identique pour tous et des statuts différents selon les opportunités ou les compétences.

Ces tensions entre sociétés traditionnelle et moderne sont présentes dans de nombreuses familles d’origine française : elles s’expriment dans des conflits générationnels, des différences entre société rurale et société urbaine par exemple. Au cœur de ces tensions, les parents ne connaissent plus les codes nécessaires à l’expression de leur autorité ou ne savent plus comment s’y prendre : ce sont eux qui sont perdus par rapport à leurs propres références mises en cause.

Au plus haut point, ces tensions entre sociétés traditionnelle et société moderne se manifestent dans des familles issues de l’immigration : le père venu remplir son rôle de père en gagnant la vie de la famille a vécu ici une expérience de soumission et d’humiliation et se retrouve fréquemment avec un emploi précaire ; ses enfants nés ici se sont mieux adaptés que lui au contexte et à la langue ; les attitudes éducatives d’ici sont très différentes de celles qu’il connaît et il n’en perçoit pas le sens ; son origine ethnique est souvent dévalorisée… De ce fait, le père est dévalorisé à ses propres yeux et ne peut plus être l’autorité de référence pour ses propres enfants. Pour peu que ceux-ci soient aussi en situation d’échec, la honte le paralyse.

Nul doute que ces éléments rapidement évoqués n’entraînent une contestation de toute autorité par un certain nombre de jeunes fragilisés. Cette contestation peut conduire à la violence et à la destruction, y compris à l’autodestruction. La répression n’aura aucun effet éducatif dans ce contexte : un jeune sans repères solides ne pourra pas faire la différence entre les violences dont il a été victime, celles qu’il a commises, et cette autre violence que sera pour lui la répression. De plus, celle-ci ne fera que masquer pour un temps le problème en écartant la personne de la vie sociale, mais elle ne lui donnera pas ce qui lui a toujours manqué : des référents solides et crédibles, et la capacité de prendre sa vie en main de façon responsable.

Dans le film « Mémoires d’immigrés » de Yamina Benguigui, un jeune français né de parents algériens évoque l’histoire de son père marquée par la soumission, sans cesse déconsidéré et rejeté. Et ce jeune rappelle sa propre délinquance comme une pulsion de vie : « S’il n’y avait pas eu cette pulsion de vie, j’aurais été humilié comme ceux qui baissent la tête. »

Ceux qui ont reçu une autorité l’ont reçue non comme un pouvoir, mais comme un service de la société et de l’humanité. Il est temps de réactualiser nos pédagogies et nos structures sociales pour prendre en compte ces pulsions de vie avant qu’elles ne s’autodétruisent, et les canaliser en forces de croissance de l’individu et de la société.

Marc THOMAS, Consultant Formateur en « Compétences relationnelles »
14 février 2002

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L’approche centrée sur la personne

Ce que Carl ROGERS écrit ci-dessous en 1962 à propos de l’entretien dans la relation d’aide avec un thérapeute peut aussi s’appliquer à toute relation humaine…

« Qu’est-ce que j’entends par Approche Centrée sur la Personne ? C’est l’expression du thème de toute ma vie professionnelle qui s’est clarifié au cours de mon expérience, de mes interactions avec les autres au fil de ma recherche. Je souris en pensant aux diverses étiquettes que je lui ai données au long de ma carrière : counseling[1] non-directif, thérapie centrée sur le client, enseignement centré sur l’élève, leadership centré sur le groupe. Les champs d’application s’étant multipliés et diversifiés, l’étiquette d’Approche Centrée sur la Personne me semble celle qui la décrit le mieux.

L’hypothèse centrale de cette approche peut être brièvement résumée :

L’individu possède en lui-même des ressources considérables pour se comprendre, se percevoir différemment, changer ses attitudes fondamentales et son comportement vis-à-vis de lui-même. Mais seul un climat bien définissable, fait d’attitudes psychologiques facilitatrices, peut lui permettre d’accéder à ses ressources.

Il y a trois conditions requises pour qu’un climat soit favorable à la croissance de l’individu, qu’il s’agisse d’une relation client-thérapeute, parent-enfant, leader-groupe, enseignant-enseigné, administrateur-administré. Ces conditions sont, en fait, applicables partout où le développement de la personne est en jeu. J’ai décrit ces conditions dans des ouvrages précédents. Je n’en présente ici qu’un bref résumé mais la description s’applique à toutes les relations mentionnées ci-dessus.

A la première on peut donner le nom d’authenticité, de réel ou de congruence. Plus le thérapeute est lui-même dans la relation, sans masque professionnel ni façade personnelle, plus il est probable que le client changera et grandira de manière constructive. Cela signifie que le thérapeute « est » ouvertement les sentiments et les attitudes qui circulent en lui au moment présent. C’est le terme transparent qui fait le mieux saisir la saveur de cette condition : le thérapeute se fait transparent pour le client.

Le client peut complètement voir ce qu’est le thérapeute dans la relation ; il n’y a en lui aucune réserve que le client puisse ressentir. Par ailleurs le thérapeute prend conscience de l’expérience intérieure qu’il est en train de faire. Il peut la vivre dans la relation et la communiquer s’il le juge opportun. Il y a donc une grande similarité, ou congruence, entre ce qui est ressenti au niveau viscéral, ce qui est présent à la conscience, et ce qui est manifesté au client.

La seconde attitude qui est essentielle à la création d’un climat de changement est l’acceptation, l’attention, l’estime – ce que j’ai appelé le regard positif inconditionnel. Lorsque le thérapeute éprouve une attitude positive et d’acceptation face à tout ce que le client est en ce moment, peu importe ce qu’il est à ce moment-là, il est vraisemblable qu’un mouvement ou changement thérapeutique se produira. Le thérapeute est désireux que le client soit le sentiment immédiat qu’il éprouve au moment même, quel que soit ce sentiment : confusion, ressentiment, crainte, colère, amour ou orgueil. Cette attention de la part du thérapeute n’est pas possessive. L’estime qu’il a pour son client est plutôt totale que conditionnelle.

Le troisième aspect facilitateur de la relation est la compréhension empathique. Cela signifie que le thérapeute ressent avec justesse les sentiments et les significations de ce dont le client est en train de faire l’expérience. Cela signifie aussi que le thérapeute lui communique cette compréhension. Quand il est au mieux de son fonctionnement, le thérapeute est tellement à l’intérieur du monde de l’autre que non seulement il peut clarifier les significations de ce dont le client a pris conscience mais aussi de celles qui se situent juste au dessous du niveau de la prise de conscience. Ce type d’écoute sensible et actif est extrêmement rare dans nos vies. Nous pensons écouter mais notre écoute est rarement assortie d’une compréhension réelle, d’une véritable empathie. Pourtant une écoute de ce type très particulier est l’une des plus puissantes forces de changement que je connaisse.

Comment le climat que je viens de décrire peut-il être facteur de changement ? Brièvement je dirai que lorsque les personnes sont acceptées et estimées, elles ont tendance à être davantage bienveillantes vis-à-vis d’elles-mêmes. Lorsque les personnes sont entendues avec empathie elles peuvent écouter avec plus de justesse le flot de leurs experiencings[2] internes. Dans la mesure où une personne comprend et estime son propre soi, le soi devient plus congruent avec les experiencings. La personne devient plus réelle, plus authentique. Ces tendances, réciproques des attitudes du thérapeute, permettent à la personne d’être un acteur encore plus efficace dans l’accomplissement de son propre développement. A être vraie et totalement elle-même la personne jouit d’une plus grande liberté.


[1] Le terme counseling est couramment utilisé par Rogers en lieu et place de psychothérapie.

[2] Experiencing: terme qui n’a pas d’équivalent lexical en français. Il signifie une expérience interne qui est en train de se faire.

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Devenir humain

Dev-Hum-Couverture1Tous les jours,
accueillir, offrir
la grâce d’un sourire,
la confiance d’une main tendue,
l’appel d’une parole,
le don d’une présence,
la force tendre d’une étreinte,
la nouveauté d’une rencontre…
et tous les jours devenir humain…

Tous les jours,
choisir de gagner la paix
au cœur même des conflits
où vérité et justice sont en cause.
Oser pleurer parfois
de la souffrance qui nous étreint,
de la misère de l’autre,
de l’insensé du monde,
et tous les jours devenir humain…

Tous les jours,
oser traverser nos larmes
jusqu’à irriguer nos sols trop secs
et les terrains pierreux du monde.
Vouloir y croire, envers et contre tout,
et savoir deviner les premiers signes
de toute relèvement.
Et tous les jours redevenir humain.

Tous les jours,
risquer l’aventure d’être soi-même,
être fragile et passionné,
jardinier de la vie en nous ensemencée,
un, unique, parmi d’autres et avec eux,
risquer l’aventure de la rencontre,
êtres manquants et solidaires,
jardiniers de la vie
les uns par les autres fécondée,
tendus vers l’accomplissement
de tous et de chacun,
Et tous les jours, ensemble, créer de l’Homme.

Marc THOMAS, Consultant en Compétences relationnelles
1995

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Comment enseigner pour que l’élève puisse apprendre

La présentation de la pédagogie proposée par Carl ROGERS (1902-1987)

Le texte suivant est tiré de Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée (Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation), vol. XXIV, n° 3/4, 1994 (91/92), p. 429-442.
©UNESCO : Bureau international d’éducation, 2000

Ce document peut être reproduit librement, à condition d’en mentionner la source.

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