Ressentir pour penser

Dev-Hum-Couverture1Nous avons appris à penser, à comprendre, à analyser… bref à développer notre intelligence « intellectuelle »… Mais nous avons peu appris à ressentir, à écouter nos colères ou nos désespoirs, à les accueillir, les apprivoiser et les canaliser…  bref à développer notre intelligence « émotionnelle »… Nos émotions ont souvent été suspectées de faiblesse : il fallait les faire taire et les « ravaler » jusqu’à la nausée…

Ne nous étonnons donc pas que ces émotions refoulées viennent parfois tout bouleverser, et suscitent tant de dégâts en nous et autour de nous : vagues qui nous submergent dans nos vies personnelles ; conduites agressives en famille ou au travail ; colères sociales qui enferment dans le « chacun pour soi » ; violences qui terrorisent quand on se croit humilié ou rejeté…

Il est de moments rares où l’émotion rassemble, plus forte que le « chacun pour soi », que l’opposition des opinions ou la peur de l’autre. Cette émotion qui rassemble n’est certes pas sans ambiguïté… Elle a aussi besoin d’être traitée pour se transformer en pratique quotidienne de l’union dans le respect de la diversité.

Mais seule l’émotion peut rassembler. Elle rassemble des personnes, si différentes parfois, dans la même joie pour la naissance d’un enfant, pour fêter les amoureux ou une réussite professionnelle… dans la même peine pour la mort d’un proche, dans la même stupeur face à la violence de la nature ou des évènements… Les humains sont très différents, mais leur ressentis se ressemblent. Pour penser juste, un humain a d’abord besoin de ressentir, d’être « sensibilisé », de se « sentir » concerné. Lorsque la pensée se sépare de l’émotion, elle devient « doctrinaire » et fondamentaliste. Lorsque l’émotion se sépare de la pensée, elle déborde jusqu’à l’agressivité et à la violence.

On peut combattre des opinions (par exemple le racisme), on peut débattre vigoureusement sur des idées différentes (par exemple les débats politiques). Mais ce débat d’idées tourne aussi très vite à l’affrontement idéologique, chacun cherchant à prouver qu’il a raison, et que l’autre a tort, parfois jusqu’à l’écrasement.

Au contraire, lorsque l’émotion est exprimée, accueillie et respectée, elle nous rapproche et nous identifie à l’autre : « condoléances » (au sens propre de souffrir avec, souffrir de la souffrance de l’autre), ou encore « Je suis… ». Les besoins de chacun sont reconnus par les autres et la recherche de leur satisfaction dépasse le « chacun pour soi » pour devenir solidaire.

Mais tout ce que je viens d’écrire peut rester des belles paroles et des théories figées… si nous ne l’exerçons pas au quotidien. Je vous propose donc un exercice pratique : quittez les discours qui justifient le positionnement que vous avez pris pendant les évènements de début janvier en France. Quittez ces débats tendus qui voudraient convaincre l’autre que vous aviez raison d’être ou de ne pas être Charlie…

A la place de ces débats stériles, faites le choix d’échanger avec respect sur ce que chacun de vous a ressenti dans ces moments là : qu’est-ce qui vous a choqués ? qu’est-ce qui vous a fait mal ? qu’est-ce qui vous a réjouis ?

Nous avons tous été choqués, mais ce ne sont pas les mêmes choses qui nous ont choqués. Nous avons tous « communié » dans la souffrance, beaucoup ont marché ensemble… mais nous n’avons pas souffert de la même chose ni marché pour les mêmes raisons. Nous nous sommes réjouis peut-être, mais pas forcément pour les mêmes motifs. Ces échanges donneront la parole à chacun, à l’unique condition d’accueillir les ressentis de l’autre sans les juger.

Nos chocs exprimés et accueillis sans jugements deviendront moins lourds  et pourront se transformer en motivation pour agir. Nos oppositions se transformeront en ressources et en complémentarités. Une intelligence émotionnelle nous permettra de penser et d’agir plus juste… et de rester ensemble.

Marc THOMAS, Consultant formateur en « Compétences relationnelles »
janvier 2015

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Attention à nos interprétations !

Couverture2Je devais arriver chez une proche que je vois une fois par an et avec qui les relations sont parfois difficiles. Comme convenu entre nous, je lui téléphone pour annoncer mon arrivée vers 16h. Elle me répond : « Nous allons à la plage à 16h. Si on n’est pas là, tu trouveras la clef à tel endroit. » Je ne dis rien, mais je rumine : « Ca fait un an qu’on ne s’est pas vu, et elle ne peut même pas changer son programme de loisirs pour être là pour m’accueillir. » Il s’en suit toute une liste de pensées négatives qui réactivent les souvenirs de relations tendues avec elle : une fois de plus, je ne compte pas à ses yeux… Elle ne pense qu’à elle…

J’ai fini par arriver. Elle n’était pas allée à la plage car il pleuvait ! Le lendemain, son fils et ses petits enfants s’annoncent pour 17h après toute une journée de route. Ses petits enfants sont tout pour elle. Et je l’entends répondre à son fils au téléphone : « D’accord mais on va à la plage à 16h, vous trouverez la clef à tel endroit… ou bien rejoignez-nous à la plage. » Je suis surpris : elle agit avec ses petits enfants qu’elle adore comme avec moi !

Première découverte : je me suis trompé hier en interprétant son absence comme un rejet de moi. C’est seulement sa manière à elle de vivre et de gérer ses priorités.

Vers 16h15, nous sommes en route pour la plage et son fils appelle à nouveau : « nous serons là dans une demi-heure. » Elle répond : « on va à la plage, rejoignez-nous ! » Dans ma logique à moi, je lui dis : « Si ton fils et tes petits-enfants arrivent, on peut rentrer à la maison pour les accueillir ». Elle me répond : « Non, il connaissent la maison et ils peuvent nous rejoindre à la plage ».

Deuxième découverte : sa manière d’accueillir n’est pas la même que la mienne. J’aurais changé mon programme pour accueillir ceux qui arrivaient chez moi. Elle invite ceux qui arrivent à la rejoindre pour partager ce qu’elle est en train de vivre. Nous sommes différents, nous n’avons pas les même priorités.

Je continue à avoir du mal à comprendre qu’on ne change pas son programme, quand c’est possible, pour accueillir ceux qui arrivent. Mais au nom de quoi pourrais-je la juger ? Moi, je lâche mes activités pour accueillir l’autre et je n’ai pas envie de changer cela. Elle invite l’autre à la rejoindre dans ses priorités et, signe de confiance, laisse l’autre ouvrir sa maison et s’installer chez elle-même en son absence. Qui a tort ? Qui a raison ? Personne ! Chacun de nous vit à sa manière le lien entre ses priorités et ses relations.

Dans cette situation simple de vacances et de tensions relationnelles, j’ai beaucoup appris à vivre dans le quotidien ce que je transmets en formation : nos interprétations parlent d’abord de nous et du sens que nous donnons aux comportements. Malheureusement, nous nous servons de ces interprétations qui parlent de nous pour juger les autres, sans même chercher le sens qu’eux-mêmes donnent aux actes qu’ils posent !

La prochaine fois que tu vis une tension relationnelle, au lieu de partir d’emblée à juger l’autre, demande-toi d’abord : comment j’interprète cette situation ? Qu’est-ce que ça dit de moi, de mes priorités, du sens que je donne à mes actions ? Et ensuite seulement essaye de constater et de comprendre – et pas de juger – comment l’autre fonctionne et quel sens il donne à ses comportements. Tu constateras des différences. Il pourra y avoir des désaccords. Mais plus de jugements ni de rumination qui ne sont que de l’autodestruction !                   

Marc THOMAS, Consultant-Formateur en « Compétences relationnelles »
août 2014

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« Tu ne sais jamais à quel point tu es fort »

Dev-Hum-Couverture1« Tu ne sais jamais à quel point tu es fort, jusqu’au jour où être fort est ta seule option » (extrait de www.fitnext.com)

J’ai reçu cette phrase par une amie qui a fait preuve d’une force incroyable, ces dernières années, pour soutenir ses proches en grande difficulté…

Ce n’est pas la force des coups qui écrase et qui opprime… La force de toutes les prises de pouvoir et de tous les règlements de compte… Cette force ne produit que la violence. Elle laisse des champs de ruines.

Ce n’est pas la force des prises de pouvoir illégitimes… L’autoritarisme dont s’habillent un certain nombre de chefs  ne manifeste que leur incapacité à inspirer le respect et leur peur de perdre leur pouvoir… Cette soi-disant force n’est que le masque des faibles.

Ce n’est pas la force des armures : elle protège parfois, mais le plus souvent elle enferme et verrouille… Nous campons sur nos positions, nous nous figeons sur nos certitudes, nous ressassons ce que les autres nous ont fait… Nous croyons ainsi nous protéger en nous enfermant dans notre tour d’ivoire… Mais nous y pourrissons de l’intérieur.

C’est la force qui rassemble… Au règne du chacun pour soi, la société se désagrège, l’être humain se désintègre. Les solidarités, les amitiés, les amours sincères sont notre force. Sans elles nous nous déshumanisons.

C’est la force qui résiste… Cette force fait échec à la violence… Les Gandhi, Martin Luther King et autres Mandela ont soulevé des foules non violentes  pour faire barrage à l’oppression. Les résistants de 39-45 ont permis la Libération. Dans nos vies quotidiennes, savoir se protéger et résister à l’injustice et à la violence. Savoir dire non rend libre.

C’est la force intérieure : elle sort du cœur… La force qui habite les parents prêts à tout pour protéger et défendre leur enfant… La force de la passion qui fait déplacer des montagnes… La force des convictions qui nous conduit à faire des choses dont nous ne nous serions pas crus capables… La force qui fait traverser les épreuves et les aléas de la vie en restant fidèle à ses convictions… Cette force-là fait tenir debout et avancer, même dans les tempêtes… Cette force-là n’est pas « m’as-tu-vu » ; c’est la force des humbles.

« Tu ne sais jamais à quel point tu es fort, jusqu’au jour où être fort est ta seule option ». Toi qui m’as écrit cette phrase, c’est bien cette force intérieure qui t’a permis de soutenir tes proches jusqu’à l’extrême… Cette force fait la grandeur et la beauté de ton être…

Et pourtant, maintenant épuisée, tu fais l’expérience de ta fragilité : toute entière donnée à l’autre, tu n’as pas pu ou pas su prendre soin de toi…

Notre force intérieure est fragile ! Parce que c’est la force de l’amour et non celle de la toute-puissance ; parce que cette force refuse de prendre le pouvoir sur l’autre et choisit de le laisser libre, au risque de l’échec ; parce que cette force n’est pas inépuisable et qu’elle a besoin de se ressourcer comme une batterie doit être rechargée ; parce que je ne peux pas être tout entier donné à l’autre sans prendre soin de moi…

Force qui peut déplacer les montagnes… mais force fragile… C’est la beauté parfois difficile de l’être humain !

Marc THOMAS, Consultant-Formateur en « Compétences relationnelles »
juillet 2014

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Sortir des reproches pour entrer en dialogue

Couverture2Nous traversons tous des périodes de tensions interpersonnelles. Parfois nous y sommes enfermés. Nous passons alors notre temps à faire des reproches à l’autre, à parler de lui en l’accusant et en le jugeant. Que d’agressivité et de violences morales ou physiques en découlent !

Il suffirait que chacun parle de lui-même pour sortir de la spirale infernale qui conduit à la dénonciation et au jugement.

« Tu m’as blessé » pourrait devenir : « Quand tu dis cela, je suis blessé. »

« Tu racontes n’importe quoi » pourrait devenir : « Je ne suis pas d’accord avec toi. »

« Tu ne m’écoutes jamais » se dirait : « J’ai besoin de te parler, peux-tu de m’écouter ? ».« Tu te moques de moi » deviendrait : « Je ne me sens pas respecté. »

Continuez la liste… Entraînez-vous à « parler en Je »… et constatez les effets :

D’abord vous vous êtes respecté vous-même : vous avez pu parler de vous, de vos constats, de vos ressentis et de vos besoins, et exprimer vos demandes et propositions.

En même temps, vous avez quitté le terrain de l’agressivité en ne parlant plus de l’autre sous forme de reproches et de jugements. Du coup, il y a davantage de chances qu’il ne vous retourne pas cette agressivité… D’abord surpris par votre changement de posture, il peut être davantage prêt à reprendre un dialogue apaisé.

De plus, vous avez commencé à traiter le problème : vous avez pu distinguer l’impact sur vous de la situation : votre perception, vos ressentis, vos limites, vos refus… Et vous êtes davantage prêt à entendre quelle était l’intention de l’autre : voulait-il vraiment vous blesser ? ou ses paroles ont-elles fait résonner en vous des douleurs mille fois ressassées ? Et même si l’autre était vraiment agressif, le fait d’avoir pu exprimer votre ressenti et vos limites vous permet de vous sentir davantage protégé : vous allez découvrir que son agressivité ne parle que de lui et de son mal-être.

On m’a appris jadis que dire « Moi, je… », ce n’est pas bien. C’est exact quand le « Moi je suis le meilleur », par exemple, sous-entend que les autres sont moins bons que moi. « Parler en Je », c’est distinguer dans la relation ce qui vient de moi et ce qui vient de l’autre ; c’est permettre à chacun d’exister et d’exprimer ce qui le traverse, sans projeter sur l’autre des intentions qui ne parlent finalement que de mes interprétations. C’est parce que je peux parler de moi-même et de la manière dont je vis la relation que je suis prêt à écouter l’autre parler de lui-même et de la manière différente dont il vit la relation. Tous les reproches et les jugements sont évacués et les différences peuvent s’exprimer et être entendues.

« Le tu tue » disait le psychologue Gordon. Les « Je » partagés suscitent le respect de chacun et permettent à la relation de se construire dans la sérénité et la complémentarité.               

Marc THOMAS, Consultant Formateur en « Compétences relationnelles »
Juin 2014

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Guerre et paix : la même énergie !

Couverture2Qu’est-ce qui pousse les combattants de toutes les guerres sur les champs de bataille ? La peur des hommes en est la cause, la soif de pouvoir, et bien souvent la manipulation des gouvernants. Mais ceux qui partent sur les champs de bataille ont conscience de défendre leur pays, de refuser d’être écrasé par l’envahisseur, de se battre pour protéger leurs familles et leurs concitoyens.

Cette énergie qui les pousse à faire la guerre est la même énergie qui peut en faire des combattants de la paix : défendre son pays, refuser l’écrasement, protéger la vie de ses proches et de ses semblables, se battre pour la justice et pour la paix. C’est la même énergie qu’il s’agit de mettre en œuvre.

Car la même main peut caresser ou frapper ; les mêmes yeux peuvent sourire ou pleurer ; le même regard peut accueillir ou tuer ; la même parole peut encourager ou insulter ; etc. Tout vient du même cœur qui peut aimer ou haïr, se réjouir ou souffrir.

Pour chacun de nous, l’énergie qui nous rend si souvent agressifs peut être transformée en énergie constructive :

  • Ecraser l’autre ? ou pour écraser l’injustice ?
  • Se mettre en colère contre qui empiète sur mon territoire ? ou contre la misère ?
  • Lutter pour arriver le premier ? ou pour arriver ensemble ?
  • Défendre un nationalisme exacerbé ? ou la construction de l’Europe ?
  • Défendre jalousement ses droits et son pré carré ? ou bâtir un monde fraternel où chacun puisse vivre et être reconnu ?
  • La même énergie pour faire la guerre ? ou pour faire la paix ?

A nous de choisir !

La fraternité vécue ou refusée est la ligne de partage entre les hommes.

Combien de combattants ou de prisonniers de guerre ont découvert la fraternité sur les champs de bataille : se réconforter, se serrer les coudes quelles que soient les convictions ou l’origine sociale, partager avec les copains d’une même baraque de prisonniers le contenu d’un colis arrivé de France, aller ensemble relever les morts après un bombardement…

Si la guerre est faite d’horreurs, les hommes qui la font en reviennent souvent plus humains, plus fraternels. Ils savent aussi que la fraternité n’est pas seulement dans un camp : quand aujourd’hui des anciens combattants français rencontrent des anciens combattants allemands, ils se sentent souvent très proches, ayant vécu les mêmes horreurs et les mêmes angoisses, mais aussi les mêmes expériences de solidarité et de fraternité.

L’histoire et leurs gouvernants les avaient dressés les uns contre les autres : ils se découvrent d’abord semblables dans leur humanité.

Seule, la fraternité ouvre un avenir.                    

Marc THOMAS, Consultant Formateur en « Compétences relationnelles »
Mai 2014

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Restaurer le dialogue

FCouverture2rançoise* parle de son fils adolescent : depuis quelques mois, il ne parle plus. Il travaille bien à l’école, mais lorsqu’il rentre à la maison, il va directement dans sa chambre, et il n’en sort que pour manger. Françoise lui reproche ce silence, et tel ou tel de ses comportements qui ne lui conviennent pas.

Mais elle souffre de cette situation et se trouve totalement démunie, craignant que son fils aie de mauvaises fréquentations et se mette à faire des bêtises comme le font d’autres adolescents. Alors elle multiplie les mises en garde, elle interroge son fils pour vérifier qu’il ne fait pas de bêtises, elle lui demande sans cesse pourquoi il s’enferme dans sa chambre. Mais elle se heurte toujours au même silence.

 Dans le même temps, Françoise participe à une formation professionnelle à la gestion de conflits. Elle y apprend les dégâts causés par les reproches et les accusations projetées sur l’autre. Elle y apprend aussi à « parler en je », c’est-à-dire à exprimer ce qu’elle a perçu des faits, ce qu’elle ressent, ce dont elle a besoin, ce qu’elle demande à l’autre ou ce qu’elle refuse… On lui avait tellement appris qu’il ne fallait pas dire « moi je » qu’elle s’en sortait avec des « tu » accusateurs qui finissaient par tuer la relation.

De retour chez elle, elle s’est mise à « parler en je » et à exprimer ses ressentis devant son fils. Elle raconte : « J’ai mis ce qui faisait mal à plat. » Elle disait ses préoccupations, ses espoirs, ses souffrances, elle parlait de ses émotions… Quelle ne fut pas surprise de voir son fils rester là pour l’écouter, puis lui répondre qu’il était là et qu’elle n’était pas toute seule avec ses difficultés.

Loin de repartir s’enfermer dans sa chambre comme avant, son fils s’est ensuite mis à parler aussi de ce qu’il vivait à l’école : ses copains qui lui reprochent de ne pas venir avec eux fumer de la drogue ou boire de l’alcool, l’étonnement de ses copains parce qu’il n’avait pas de copine… Et puis il a dit aussi qu’il voulait repartir dans la région où ils vivaient avant parce qu’il avait laissé là-bas ses meilleurs copains.

Et depuis ce jour où Françoise a quitté le « tu » accusateur pour le « je » qui exprime, un dialogue régulier s’est réinstauré avec son fils. Elle discute avec lui de son orientation scolaire et il accepte de faire avec elle les démarches nécessaires pour préciser cette orientation. Elle peut aussi lui dire son désaccord, et même parfois les limites ou les règles que tout parent peut poser à son enfant… Cette juste autorité n’interrompt pas le dialogue, mais elle s’intègre dans une relation nouvelle où chacun peut être lui-même et exprimer ce qui est important pour lui, dans le respect et l’écoute mutuels.

Merci à toi, Françoise, et à ton fils, de nous montrer qu’il est toujours possible de reprendre le dialogue. Entre vous deux, c’est allé vite, car ton fils était lui aussi dans l’attente d’un dialogue où il se sentirait respecté. Ce n’est pas aussi facile pour tout le monde : l’habitude prise de se taire a pu figer toute parole, ou bien les tensions sont si fortes que la méfiance ne disparaît pas du premier coup.

Et pourtant, chaque fois qu’une personne quitte les reproches pour exprimer ses propres ressentis, l’autre encore dans la méfiance est surpris par le changement de posture. Le moment venu, cela rendra possible la restauration progressive d’une relation. Un regard bienveillant permet d’entretenir l’espoir, d’attendre patiemment que vienne le moment… et de continuer à s’exprimer de façon sereine et constructive.                   

Marc THOMAS, Consultant Formateur en « Compétences relationnelles »
Avril 2014

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Sortir de la culpabilité

Couverture2Pendant une formation, Mathilde, retraitée, raconte comment, à 20 ans, elle a voulu protéger son petit frère en l’empêchant de regarder la télévision. Elle se souvient l’avoir attrapé dans le fauteuil et l’avoir traîné avec violence loin de la télévision. En racontant cela, Mathilde est submergée par une forte émotion, évoquant la répétition fréquente de cette stratégie dans des relations qu’elle voudrait pourtant bienveillantes. Quelques jours après, elle m’écrit la prise de conscience qu’elle vient de faire : « J’ai pris conscience de cette culpabilité récurrente qui me fait ressasser mes échecs relationnels parce que je mets en place des actes violents alors que je souhaite des relations empreintes de bienveillance réciproque. » J’ai écrit ceci à Mathilde :

La prise de conscience que tu as faite est importante pour toi : tu as découvert que ton intention était juste – protéger ton petit frère -, mais que la stratégie était violente quand tu as éloigné ton frère de la télévision. Cette distorsion entre ton intention et la stratégie employée a généré de la culpabilité qui se réactive dans de nombreuses autres relations… depuis plus de 40 ans !

Cette prise de conscience a déjà transformé ta tristesse en enthousiasme. Il suffit que tu sois vigilante et que tu continues, « d’écouter plus loin chez moi », comme tu l’écris si bien. Certaines de tes réactions vont changer toutes seules. Tu y sentiras un goût de liberté. Et quand tu auras la tentation de retomber dans les réactions du passé, tu pourras parfois t’arrêter. D’autres fois, tu recommenceras comme avant : ne t’en désole pas ! La « rééducation » prend du temps, on ne se défait pas d’un seul coup des stratégies du passé devenues des automatismes.

Chaque fois que tu te sens coupable, cherche l’intention positive derrière l’erreur !

L’enjeu, c’est de tenir ensemble deux postures différentes : d’une part garder la fermeté : elle fixe des repères et des limites, elle refuse ce qui peut détruire, elle manifeste son désaccord, elle dénonce l’injustice, elle exerce l’autorité légitime qui nous est confiée… et d’autre part et dans le même temps la bienveillance qui favorise des relations sincères où l’autre se sent reconnu et valorisé.

Ces deux postures sont-elles contradictoires ? Oui quand, centrés sur notre seul intérêt, nous jugeons la personne au lieu de dénoncer l’acte ; et la fermeté se transforme en violence.

Ces deux postures sont complémentaires : la fermeté et la bienveillance sont comme les deux jambes qui permettent de tenir en équilibre et d’avancer. Un jour, des élèves adolescents en grande difficulté me parlaient d’un professeur dont ils se moquaient en disant : « C’est un bouffon ! Il nous laisse faire n’importe quoi ». Puis ils me parlaient d’un autre professeur qu’ils aimaient bien : « Il est sévère, mais il nous respecte ». Et ils expliquaient : « Sévère, ça veut dire qu’il ne nous laisse pas faire n’importe quoi. Mais il nous respecte parce qu’on peut toujours parler avec lui et il nous fait réfléchir à nos actes. » Fermeté et bienveillance déclenchent alors le respect mutuel et le bien-être relationnel.

Marc THOMAS, Consultant Formateur en « Compétences relationnelles »
Mars 2014

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Écouter plus loin

Couverture2Je suis allé chez un ostéopathe pour une sciatique de la jambe gauche. Je signale au praticien un détail supplémentaire : j’ai comme des décharges électriques dans un doigt de la main gauche depuis une chute. Surprise : il s’occupe d’abord du détail, le doigt (« mais ce n’est pas d’abord pour ça que je suis venu ! »). Puis il remonte vers l’épaule : c’est elle qui est bloquée et qui est la cause de tout le reste !

L’ostéopathe pose délicatement ses mains sur l’épaule, le bras, le poignet, le déplace le long des points sensibles et des circuits d’énergie et, sans faire mal, jusqu’au bassin, jusqu’à ce point qui faisait mal avec la sciatique.

 Au bout de quelques minutes d’une manipulation très douce, je sens une détente dans le l’épaule et le bras, et un grand bien être dans tout le corps. Je ressens physiquement une tension libérée et une sorte de courant d’énergie. Au même moment, l’ostéopathe me dit : « ça lâche ! »

 Il termine son travail sur mon coude, toujours avec délicatesse, mais une douleur se fait sentir. Il me dit « c’est bien verrouillé, il faudra plusieurs séances pour que ça lâche complètement. » Puis il m’invite à me relever, en me prévenant qu’il est normal que je sente des courbatures dans les heures et jours prochains.

 Sur la table de travail de l’ostéopathe, j’ai pensé que l’écoute et l’accompagnement ont quelque chose à voir avec l’ostéopathie… Dans des accompagnements individuels, nous venons souvent évoquer des problèmes douloureux dont nous ne savons pas comment sortir. Ils sont tellement envahissants qu’ils occupent tout le champ de notre conscience. Souvent l’écoutant nous interpelle sur une parole qui nous paraît être un détail insignifiant ; ou bien il nous invite à chercher dans notre mémoire émotionnelle et mentale d’autres évènements qui ont pu déclencher les mêmes réactions que celles d’aujourd’hui. Nous voudrions qu’il nous apporte la solution au problème d’aujourd’hui, mais il nous oriente avec délicatesse sur ce qui a pu le déclencher et qui vient de plus loin

La personne qui nous écoute nous accompagne pour identifier le problème et son origine. Sans jugement, sans interprétation, sans nous prendre en pitié, sans non plus souffrir avec nous. Mais avec délicatesse, dans une présence attentive. Cette attitude merveilleuse, qui s’appelle l’empathie, suffit souvent à nous permettre de trouver les clefs de nos verrous et de nos ruptures.

Nous nous sentons alors moins écrasés, allégés et libérés, même si la solution n’est pas encore trouvée. Ce travail demande du temps, pour enlever les sédiments accumulés, toutes ces résistances et blocages qui nous ont peut-être protégés au fil des ans, mais en nous verrouillant de l’intérieur. Grâce à l’écoute empathique, l’énergie libérée par notre parole nous a soignés. Sans la main de l’ostéopathe, je ne peux pas libérer le blocage de l’épaule. De même, depuis des années peut-être, nous n’avons pas a réussi à sortir tout seul du problème qui nous verrouillait : c’est quand notre parole est accueillie et écoutée qu’elle devient libératrice.

 Marc THOMAS, Consultant Formateur en « Compétences relationnelles »
Février 2014

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Attentes actives

Couverture2Désillusions, déceptions, désespérance… Nos sociétés occidentales habituées à l’aisance et au confort sont plus pessimistes et « dépressives » que celles qui sont habituées à lutter pour leur survie.

Réclamations, revendications, demandes d’assistance… Nous sommes parfois plus enclins à attendre passivement que l’autre ou la société résolve nos problèmes, plutôt que de chercher en nous les ressources et la motivation pour améliorer notre situation…

Et pourtant, nous savons nous investir… Attendre un résultat d’examen ou rechercher un emploi… Chercher à négocier l’issue d’un conflit ou la fin d’une guerre… Attendre la rencontre qui va changer une vie ou le retour de l’être aimé… Attendre la naissance de l’enfant que l’on porte en soi… Ces attentes-là sont loin d’être passives : que de recherches, de préparatifs, d’impatience, de disponibilité… Ces attentes nous projettent tout entier vers le but. Elles peuvent changer toute une vie.

Les rêves de vie meilleure et de paradis ne sont qu’illusion s’ils n’incluent pas une attente active, impatiente, amoureuse. Comment pourrions-nous espérer un monde meilleur sans relever nos manches et nous battre pour la vie humaine ? Comment attendre le bonheur éternel sans l’expérience du bonheur reçu et offert aujourd’hui ? Attente active d’un bonheur qui est déjà parmi nous, donné à l’état de semence : il ne deviendra jamais réalité si nous ne le semons pas dans nos terres humaines et si nous ne nous transformons pas en jardiniers de l’humanité.

Il fut un temps ou l’attente de la fin du monde était telle que la vie présente était dévalorisée. On a même justifié la souffrance des hommes et les malheurs de ce monde en invitant à regarder vers la vie éternelle, comme si on disait : peu importe que tu sois malheureux ici-bas, tu seras heureux dans l’éternité ! Comment pourrions-nous nous contenter de « traverser les champs de bataille les yeux fermés, une rose à la main » ? Face à la souffrance et aux bouleversements, les seules actions dignes de l’homme s’appellent accompagner, être proche et solidaire, guérir, lutter…

Parfois l’angoisse de l’avenir nous étreint. Au risque de leur vie, des groupes humains fuient leur pays, angoissés par la guerre ou par la faim. Des familles en précarité ne croient plus en un avenir possible. Des relations familiales sont compromises par la violence et la haine. Devant ces angoisses qui nous touchent ou qui nous entourent, il n’y a pas de place pour de doux rêveurs, ni pour des bonnes paroles lénifiantes : il faut devenir des combattants de l’espérance.

Les obstacles demeurent, les frustrations aussi. Qui d’entre nous peut dire qu’il ne manque pas toujours un peu quelque chose pour que le bonheur soit complet, même dans le plus grand amour ? C’est dans ce manque même que l’homme s’humanise, trouvant l’énergie d’aller toujours plus loin, tendu vers ce bonheur toujours désiré, jamais possédé. Dans ce monde difficile, la seule manière de croire en l’avenir, c’est de le faire « ad-venir » en chaque geste, en chaque parole, en chaque instant de nos vies.

Marc THOMAS, Consultant Formateur en « Compétences relationnelles »
novembre 2013

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Je suis un homme libre

Dev-Hum-Couverture1Cet homme raconte le parcours de toute une vie. Il s’était engagé très tôt dans un style de vie et un métier passionnants mais où il s’était vite senti à l’étroit. Après de nombreuses années difficiles, il avait fait le choix de quitter ce qui l’enfermait. Au même moment, il avait cru rencontrer l’amour.

Il dit lui-même que ces changements vécus à presque 50 ans ont constitué un vrai tsunami, avec la nécessité de tout redémarrer à zéro. Quelques mois après, complètement essoufflé, sa santé lui a joué des tours. En même temps, son couple  vivait des tensions difficiles, et son employeur lui annonçait un préavis de licenciement ! Il a fallu faire le choix de se séparer, de vendre la maison où il avait pensé se poser enfin pour construire leur bonheur, et aussi envisager le chômage.

La maison vendue, il s’est retrouvé le premier soir seul dans un petit appartement loué provisoirement. Collé à la fenêtre en regardant la rue, il se sentait dépouillé, décapé. Il pensait à tout ce parcours et à tout ce qu’il venait de perdre. Tout lui semblait vide. Mais de façon tout-à-fait inattendue, une sensation de chaleur a envahi son ventre, puis un souffle est monté dans sa poitrine… Et là, devant sa fenêtre, surgit de l’intérieur une conviction forte et sereine : « Je suis un homme libre ! »  

Il avait tout perdu : la reconnaissance de beaucoup des siens, l’amour qu’il voulait construire, la maison où il croyait s’être enfin posé, et finalement le travail  qui lui avait permis de se relancer. Il avait perdu tout çà… mais il vient de se trouver lui-même : « Je suis un homme libre ». Pour la première fois de sa vie, décapé, il peut devenir l’auteur de sa propre vie.

Quelques mois après, une VAE lui a permis de reprendre des études universitaires : non seulement il a obtenu le diplôme nécessaire à une reconnaissance professionnelle, mais ces études lui ont permis de relire les étapes du passé, de pointer comment ces épreuves lui avaient permis de se rencontrer lui-même et de transformer ces épreuves en ressources intérieures. Il pouvait maintenant vivre libre et construire un avenir qui lui ressemble.

Aujourd’hui, quelques années après, cette sensation de liberté ne l’a pas quitté : il exerce le métier dont il avait toujours rêvé, il se sent pleinement lui-même. Et beaucoup de ceux qui le rencontrent trouvent dans ses paroles et sa manière d’agir une invitation à chercher à leur tour en eux-mêmes leurs propres ressources et à tracer leur route de femmes et d’hommes libres !

Libre… Non pas se libérer de toute contrainte et faire ce qu’il veut quand il veut : cette liberté-là ne serait que caprice ! Libre de trouver en soi le sens et la sincérité, libre de devenir soi au milieu des contraintes de ce monde. Cette liberté là passe nécessairement par des dépouillements à affronter.  Ainsi décapé, il peut enfin construire sa propre vie et aller à la  rencontre des autres comme vers des partenaires, sans peur ni pression.

Cette liberté-là est à ta portée : quand tu te laisses décaper de toutes tes carapaces et de tout ce qui ne te ressemble pas, tu peux t’écouter et croire en toi au milieu des autres !  

Marc THOMAS, Consultant-Formateur en « Compétences relationnelles »
septembre 2013

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