Ce texte a été publié par la revue NON-VIOLENCE ACTUALITE
n° 277 – Novembre-Décembre 2004 – www.nonviolence-actualite.org
LA PREMIÈRE HEURE DU PREMIER JOUR DE CLASSE…
Monique a été 27 ans professeur principal dans un collège de ZEP. Elle est maintenant formatrice à l’IUFM. Pendant les formations d’enseignants, elle demande souvent à ses collègues : « Que faites-vous et que dites-vous à vos élèves dans la première heure du premier jour de l’année scolaire ? »
Et les professeurs reconnaissent que le plus souvent, ils veulent « prendre en mains » leur classe et affirmer leur autorité, et donc qu’ils commencent par rappeler le règlement intérieur et l’exigence absolue de le respecter sous peine de sanctions immédiates.
ÉLABORER ENSEMBLE…
Alors Monique raconte que, dans son collège peuplé d’élèves réputés difficiles, elle n’a jamais commencé par rappeler le règlement intérieur. A la première heure du premier jour de cours, elle commençait toujours à dire aux élèves : « Nous allons avoir environ 150 heures de cours au long de cette année. Nous ne nous sommes pas choisis, mais la réalité est là : nous allons vivre ensemble toutes ces heures. Que pouvons-nous faire pour nous faciliter la vie en donnant plus de qualité à la vie commune ? »
D’abord surpris, les élèves inventaient avec elle :
– « Madame, on pourrait faire des sorties ? » « Oui, répondait-elle, si vous me faites des propositions de visite qui vont dans le sens du programme. »
– « Madame, on peut apporter des jeux ? » « Non, nous ne sommes pas là pour jouer, sauf si ces jeux nous permettent d’apprendre le français, les maths … »
– « Madame, on pourra parler d’autre chose que du programme ? » « Et de quoi voudriez-vous parler ? » Les élèves cherchaient… Après quelques propositions qui n’avaient rien à voir avec l’école, l’un dit : « On pourrait parler de ce qu’on voit à la télé. » Un autre ajoutait : « On pourrait parler de ce qui ne va pas dans la classe. »
… UNE CHARTE DU « VIVRE-ENSEMBLE »
Alors, Monique répond : « Oui, il vaudrait mieux parler ensemble de ce qui ne va pas, plutôt que de laisser les choses dégénérer. D’ailleurs je vous propose qu’on consacre la fin de cette première heure de classe à écrire « la charte du vivre-ensemble » pour ces 150 heures de classe. Éliminez d’avance les phrases qui commencent par « il ne faut pas… » ; remplacez-les par une phrase sans négation qui commence par : « nous choisissons… nous décidons… ».
A la fin de ce travail, un élève dit : « Et celui qui ne respecte pas la charte, il sera sanctionné. » « Oui, répond Monique, il sera sanctionné, non pas parce que j’en ai le pouvoir comme professeur, mais parce qu’il se sera lui-même exclu de la charte du vivre ensemble dont l’application est sous la responsabilité de tous. »
Ce faisant, Monique a remis dans le bon sens ce que la peur nous fait souvent mettre sens dessus dessous, laissant place au pouvoir arbitraire ou à la démission. Devant une classe d’adolescents turbulents, la peur de perdre pied nous fait imposer les règles et agiter l’épouvantail de la sanction… alors même que nous savons que la plupart des sanctions et des exclusions n’ont pas l’effet escompté…
D’ABORD LE VIVRE ENSEMBLE, ENSUITE LA LOI QUI EN EST L’APPLICATION
Monique a remis les choses dans le bon sens, faisant le choix d’un apprentissage de la démocratie : ce qui est premier en effet dans un groupe, ce n’est pas la Loi, mais la capacité à vivre ensemble ; cela s’appelle aussi citoyenneté, intégration, lien social, cohésion… Cette capacité à vivre ensemble est une valeur structurante sur laquelle des jeunes et des adultes peuvent se motiver si les moyens leur sont donnés d’en découvrir l’intérêt… Car l’élève et le professeur – comme tout être humain – ne se motivent que s’ils perçoivent de l’intérêt. Et l’Ecole de la République est un lieu privilégié d’apprentissage du vivre ensemble et d’ancrage de ce vivre ensemble comme valeur fondamentale.
C’est en second lieu seulement que la Loi prend sens comme garante et garantie du choix que l’on a fait de vivre ensemble. La Loi toute seule n’est pas un repère, mais une alarme… et l’on sait que les jeunes aiment jouer à déclencher les signaux d’alarme ! La Loi ne devient repère qu’associée à la valeur reconnue qui la fonde.
ET ENSUITE SEULEMENT, TOUT A LA FIN, VIENT LA SANCTION
La sanction n’est pas une punition, c’est-à-dire une peine et un poids imposés sur les épaules du contrevenant ; la sanction est la conséquence d’une conduite transgressive qui met en danger le vivre ensemble du groupe comme celui qui, par son acte, s’en est exclu. La sanction dit aussi que chacun est responsable des valeurs du groupe.
PRENDRE LE POUVOIR OU FAIRE AUTORITÉ ?
Les professeurs qui écoutaient Monique en formation avaient parfois un sourire dubitatif : Monique ne serait-elle pas une douce rêveuse emportée par ses illusions, bien loin de la réalité d’une confrontation difficile avec des élèves « qui ne sont plus ce qu’ils étaient » ?
Alors Monique interrogeait les professeurs sur leur manière de se positionner dans leur classe :
- sont-ils les détenteurs d’un pouvoir qu’il faut imposer, jusqu’à la contrainte, à des adolescents prêts à en découdre ? A ceux-là, Monique disait qu’ils alimentaient eux-mêmes le rapport de force et qu’ils risquaient d’amplifier la violence en retour de leurs élèves…
- ou bien sont-ils des personnes dont l’autorité est reconnue par leurs élèves parce que ceux-ci se sentent respectés et responsabilisés, sans démagogie ? Et Monique ajoutait qu’en 27 ans de carrière dans des établissements reconnus « à risque », elle n’avait jamais été victime d’exactions de la part de ses élèves.
Enfin, Monique évoquait certains élèves déstructurés par une histoire chaotique et qui avaient bien du mal à reconnaître le « vivre-ensemble » comme une valeur. Elle rappelait que, sur ces élèves-là, la sanction n’avait aucun effet, sinon celui de les stigmatiser un peu plus et de renforcer leur exclusion. C’est pourquoi elle insistait sur la patience et le temps nécessaires pour leur permettre d’avoir la chance de découvrir une valeur que personne d’autre que l’école ne pouvait leur apprendre. Et Monique faisait confiance au groupe, affirmant que, dans la dynamique de groupe qu’elle instaurait, certains élèves apprenaient à leurs copains ce que le professeur ne pouvait pas leur apprendre…
Marc THOMAS – Consultant Formateur en « Compétences relationnelles »
avec l’accord de Monique
septembre 2004